LE PLATEAU…
Le gros appareil les amena de Seattle à Honolulu puis à Apia. De là, un avion plus petit les conduisit jusqu’à Tahiti et à Papeete. Vingt-cinq heures après avoir quitté Boston, Bob put montrer au Chasseur le pétrolier ravitaillant les petites îles des alentours, et sur lequel ils accompliraient la dernière partie de leur voyage. Le navire était aisément reconnaissable à sa silhouette particulière et devait faire ce service depuis longtemps.
Robert était le seul passager, et il prit place avec ses valises sur une allège qui le conduisit au navire.
Le Chasseur se rendit compte que ce bateau avait été construit beaucoup plus pour porter de lourdes charges que pour la vitesse. Il était très large pour sa longueur et le milieu était occupé par les réservoirs qui dépassaient à peine de quelques mètres la ligne de flottaison. L’avant et l’arrière étaient beaucoup plus hauts, et reliés entre eux par une passerelle surplombant les cales. De là, des échelles permettaient de descendre sur le pont pour accéder aux vannes et aux treuils. Un énorme marin au visage tanné regardait Bob qui grimpait l’échelle de pilote. Le commandant grommelait des paroles incompréhensibles, car des expériences passées lui avaient appris qu’il était impossible d’empêcher le garçon de se promener partout, et il n’allait plus vivre que dans la crainte de voir celui-ci se rompre les os. Il n’avait nulle envie de déposer chez M. Kinnaird un enfant avec des fractures multiples.
« Hé, monsieur Teroa ! hurla Bob en mettant le pied sur le pont, vous croyez que vous pourrez me supporter de nouveau pendant un jour ? »
Le capitaine sourit avant de répondre :
« Il faudra bien ! Au fond on a vu pire que vous dans le genre nuisible. »
Très étonné, Bob ouvrit de grands yeux et demanda en employant cette fois le pidgin mi-français mi-polynésien qui était de rigueur dans les îles :
« Vous n’allez pas me dire que quelqu’un vous a embêté plus que moi, car alors, il faudrait me présenter ce génie !
— Vous le connaissez très bien, ou plutôt vous les connaissez. Mon fils Charlie et le jeune Hay sont venus à bord il y a quelques mois. Ils ont réussi à se cacher jusqu’au moment où il était trop tard pour les renvoyer à terre. Il a fallu que je leur explique à quoi tout servait.
— Que voulaient-ils donc ?
— Faire un tour en mer, je suppose.
— Pourtant ils doivent bien connaître votre bateau depuis le temps.
— C’est pire que cela ! Charlie voulait absolument prouver qu’il pouvait se rendre utile, il avait envie de commencer à apprendre le métier. Hay, de son côté, désirait visiter le musée de la marine à Papeete sans être accompagné d’un tas de gens âgés qui l’obligeaient toujours à regarder ce qui ne l’intéressait pas. J’étais très embêté, mais il a bien fallu les garder à bord.
— Je ne savais pas que Norman se passionnait pour l’histoire naturelle. Ce doit être tout récent et je finirai bien par savoir pourquoi. Il est vrai que je suis parti depuis cinq mois et il a pu se mettre à étudier ce qu’il voulait.
— Tiens, c’est vrai ! Je ne vous attendais pas si tôt. Qu’est-ce qui s’est passé ? On vous a viré de l’école ? »
La dernière phrase était accompagnée d’un sourire bienveillant qui lui enlevait tout côté désagréable.
Bob fit une grimace. Il n’avait pas songé à inventer une histoire, mais il estimait à juste titre que les motifs avancés par le médecin de l’école ne convaincraient personne.
« Le toubib de l’école a dit que cela me ferait du bien de passer quelques mois à la maison, déclara-t-il. Il ne m’a pas dit pourquoi, et autant que je puisse m’en rendre compte, je me porte très bien. Est-ce que Charlie a réussi à décrocher le boulot qu’il voulait ? »
Bob savait parfaitement ce que l’on allait lui répondre, mais il tenait surtout à changer de sujet de conversation.
« Aussi bizarre que cela puisse paraître, dit alors le commandant, il va l’avoir, mais je crois que vous feriez mieux de ne pas lui en parler encore. Il fera sûrement un bon marin. Je me suis dit que puisqu’il était décidé à se lancer dans ce fichu métier, mieux valait ne pas le perdre de vue. J’ai demandé à le prendre à bord et je crois que cela va marcher. N’allez pas vous imaginer que vous pourrez en faire autant en vous cachant simplement dans la cale ! » Et le marin accompagna ces derniers mots d’une bourrade amicale.
Sur le moment, Bob avait complètement oublié le problème capital qui le préoccupait tant. Il était plongé dans ses pensées et se demandait ce qu’avaient pu faire ses camarades de l’île pendant son absence. Bien qu’il y passât en général peu de temps, Bob considérait l’île comme le véritable centre de sa vie et pour le moment il n’était plus qu’un jeune garçon de quinze ans, heureux de retrouver des paysages connus où tant de souvenirs l’attendaient.
Accoudé au plat-bord, Bob fixait le ciel bleu et s’aperçut soudain que le Chasseur cherchait à lui dire quelque chose. La question du Chasseur était en parfaite harmonie avec l’état d’âme de Bob et il n’aurait pas pu choisir un moment plus propice pour la poser. Le Chasseur avait longuement réfléchi et il avait conclu que d’autres données lui étaient indispensables pour essayer de retrouver le fugitif. Son hôte était certainement à même de le renseigner sur certains points.
« Bob, pouvez-vous me donner un peu plus de détails sur l’île où nous allons débarquer ? Sur sa forme par exemple, sa superficie et également sur les gens qui y vivent ? Je crois que notre travail va consister tout d’abord à essayer de reconstruire l’enchaînement des événements qui ont entouré l’arrivée sur cette Terre de celui que nous cherchons. Il faudra commencer par reconstituer tous ses actes avant de vouloir le dénicher. Lorsque je connaîtrai mieux l’endroit où tout s’est déroulé, il sera plus facile de découvrir où il a pu s’échapper.
— D’accord, répondit Bob qui ne demandait qu’à aider le Chasseur. Je vais dessiner rapidement une carte, cela vaudra mieux que de longues explications. J’ai du papier dans mes affaires. »
Il quitta la rambarde et pour la première fois depuis qu’il prenait ce bateau il ne sentit pas les vibrations qui secouaient le navire au moment où les Diesels se mettaient en route.
Ce qui lui servait de cabine était une toute petite pièce située à l’arrière du navire, et ne comportant qu’une couchette devant laquelle on avait posé ses bagages. Manifestement, le navire n’avait pas été prévu pour transporter des passagers.
Sous le crayon du jeune garçon, l’île prenait la forme d’un L majuscule. Le port se trouvait à l’intérieur de l’angle ouvert vers le nord. La barrière de récifs qui entourait l’île était presque circulaire, et le lagon s’étendait sur une vaste surface, en particulier au nord. À en croire le dessin, deux passages devaient permettre de franchir les récifs. Bob expliqua que la face ouest était la plus fréquentée et que récemment on l’avait agrandie en faisant sauter les coraux à la dynamite, afin que le pétrolier pût y entrer à n’importe quelle heure.
« On est obligé d’entretenir constamment le chenal en faisant sauter les récifs, qui d’ailleurs laissent passer les petits bateaux. Le lagon est peu profond, à peine quatre mètres dans l’ensemble, et l’eau y est toujours tiède. C’est même pourquoi l’on a construit les réservoirs dans ce coin-là. »
Il montrait en même temps un certain nombre de petits carrés qu’il avait dessinés tout près du lagon.
Le Chasseur eut envie de demander à quoi servaient ces réservoirs, mais il préféra attendre que Bob eût fini son exposé.
« C’est ici », et le garçon montrait une des branches du L, « qu’habitent la plupart des gens. C’est la partie la plus basse de l’île, le seul endroit où l’on peut voir des deux côtés à la fois. On trouve une trentaine de maisons dans ce coin-là, toutes entourées de grands jardins, et assez espacées les unes des autres. Rien de semblable à ce que vous avez vu en ville.
— Vous habitez également là ?
— Non. » Le crayon dessina alors une ligne longeant l’île sur presque toute sa longueur, très près du lagon. « Cette route va de chez Norman Hay qui habite près de l’extrémité nord-ouest jusqu’aux hangars qui se trouvent au milieu de l’autre branche. Les deux côtés de l’île possèdent une chaîne de collines qui s’abaissent au centre, là où se trouvent les maisons. Beaucoup de gens vivent également au nord de ces monts. En partant de la maison de Hay et en descendant la route on passe devant la maison de Hugh Colby, de Shorty Malmstrom, de Ken Rice et l’on arrive chez moi. Actuellement cette extrémité de l’île n’est guère fréquentée, et la nature a repris ses droits, sauf aux abords immédiats des maisons. Le sol est fissuré dans ce coin-là et très difficile à travailler. Tout ce qui est nécessaire pour alimenter les réservoirs, pousse à l’autre bout où la terre est meilleure. Nous vivons, en fait, presque dans la jungle, et de chez moi l’on n’aperçoit pas la route. Pourtant la maison de mes parents est celle des cinq qui en est la plus proche. Si votre petit copain a décidé de se cacher dans ce coin-là, loin des hommes, je me demande comment nous pourrons le retrouver.
— Quelle est la largeur de l’île ?
— La branche nord-ouest a près de cinq kilomètres de long et l’autre trois. La chaussée qui s’étend en arrière du port vers le milieu du lagon doit avoir cinq cents mètres, ou peut-être un peu plus, mettons près d’un kilomètre. Il y a à peu près la même distance jusqu’à l’autre route pavée qui passe au milieu du village, à environ trois kilomètres du petit chemin qui conduit chez moi. »
Le crayon de Bob allait d’un point à un autre de la carte sans raison bien précise, car il s’animait à mesure qu’il parlait. Le Chasseur suivait tous les mouvements avec un grand intérêt et estima que le moment était venu de demander une explication au sujet des réservoirs auxquels le jeune garçon avait fait allusion à plusieurs reprises.
« On les appelle des réservoirs de culture, expliqua Bob ; ils contiennent des bactéries qui, en dévorant toutes les plantes qu’on y verse, finissent par produire une sorte d’huile. C’est là tout le secret de l’affaire. On colle tout ce qu’on peut trouver dans le réservoir, puis l’on pompe l’huile qui finit par monter à la surface. De temps à autre il faut enlever les saletés qui se trouvent au fond et je vous assure que c’est un drôle de travail.
« Depuis des années les gens se plaignaient du danger que constituait le pétrole, qui d’après eux coulait dans la mer. N’importe qui aurait pu leur dire que les flammes qu’ils apercevaient sur les marais étaient simplement produites par les gaz provenant des herbes qui pourrissaient. En fin de compte quelqu’un fut assez astucieux pour éclaircir le mystère et un biologiste venu spécialement découvrit une bactérie permettant d’obtenir de l’huile au lieu de ces gaz des marais, perdus pour tout le monde. Tous les détritus de l’île ne furent bientôt plus suffisants pour alimenter les cinq réservoirs. Tout ce qui pousse sur l’extrémité nord-est de l’île est périodiquement coupé pour alimenter ceux-ci. Les détritus que l’on en retire sont employés comme engrais. Ils dégagent une odeur épouvantable, mais heureusement cette partie se trouve sous le vent. Des tuyaux relient les réservoirs au point de chargement.
— Personne ne vit au sud des collines ?
— Non. La branche de l’île où habitent mes parents est la plus exposée au vent, et je vous assure que lorsque je parle de vent ce n’est pas une petite histoire. Vous aurez peut-être l’occasion de voir ce qu’est un véritable cyclone. L’autre versant est en général plus ou moins couvert de ce fameux engrais et personne n’a envie de s’y installer, croyez-moi. »
Le Chasseur venait d’avoir une idée qu’il supposait excellente. Il ne savait pas encore s’il serait possible de la mettre en pratique, mais ses connaissances en biologie l’amenaient tout naturellement à songer à des améliorations auxquelles les hommes n’avaient pas pensé.
Bob se lança dans une description enthousiaste de ses promenades passées, et le Chasseur apprit à connaître la barrière de récifs et comment l’on parvenait à passer à travers l’entrelacs des coraux. En résumé il sut tout ce qu’il était possible de connaître sans avoir réellement parcouru l’île.
Lorsqu’ils remontèrent sur le pont, on apercevait au loin le sommet de la montagne surplombant Tahiti. Bob ne perdit d’ailleurs pas une seule minute à contempler le spectacle. Il se dirigea vers un panneau et descendit dans la salle des machines. Un seul homme était de service, et dès qu’il aperçut le garçon il étendit la main vers le téléphone comme pour appeler à l’aide, mais n’acheva pas son geste et dit en riant :
« Vous voilà encore ! Ne vous approchez pas des turbines avec ces chaussures-là. Je n’ai pas envie d’aller vous dérouler de l’arbre de couche. Vous ne connaissez pas encore par cœur tout ce qu’il y a à voir ici ? »
Bob obéit et resta sur la passerelle qui courait tout autour de la salle bruyante. Son regard ne quittait pas les cadrans qui s’étageaient devant le mécanicien. Il savait ce que signifiaient certains d’entre eux, et le marin lui expliqua l’emploi des autres. Leur mystérieux pouvoir d’attraction s’évanouissait au fur et à mesure qu’il en découvrait l’usage. Et le jeune garçon recommença à rôder autour des machines. Un autre mécanicien venait d’entrer pour surveiller la marche des immenses turbines. Il écoutait attentivement le doux bruissement du métal en s’efforçant de déceler la fuite d’huile, ou le mauvais joint qui risquait de tout arrêter sans le moindre avertissement. Bob, très intéressé, le regardait faire. Il savait jusqu’à quel point il pouvait rester là sans être considéré comme un gêneur et sa visite se renouvela plusieurs fois pendant la traversée.
À un certain moment il se trouvait tout près du puits de l’arbre de couche pendant que le mécanicien surveillait un coussinet. Le voisinage était évidemment dangereux. Le Chasseur ne s’aperçut pas immédiatement que son hôte risquait un accident. Il était habitué à voir des machines beaucoup moins grosses et dont toutes les parties mobiles étaient soigneusement protégées. Il aperçut les bielles et les pistons travaillant à peu près à l’air libre, mais ne songea pas un instant au danger que cela présentait, lorsqu’un chapelet d’injures jaillit du tumulte de l’arbre d’hélice. À l’instant même Bob retira brusquement sa main et le Chasseur ressentit en même temps que son hôte la brusque douleur causée par une traînée d’huile bouillante sur la peau du jeune garçon. Dans la demi-obscurité, le mécanicien avait versé une quantité trop grande de lubrifiant sur le palier qu’il surveillait. Le trop-plein s’était échappé de tous côtés avec les résultats douloureux que l’on connaît.
Le mécanicien sortit en reculant de sa position incommode en donnant libre cours à sa colère. L’huile l’avait brûlé à plusieurs endroits, mais dès qu’il vit Bob il lui demanda, très inquiet :
« Tu es blessé, petit ? »
Il savait très bien ce qui se passerait s’il arrivait un accident à Bob pendant que celui-ci était avec lui. Le commandant avait donné des ordres particulièrement stricts pour préciser ce qui était permis ou défendu à l’enfant. Bob avait également d’excellentes raisons pour ne pas ébruiter l’affaire et il tint sa main derrière son dos en répondant de son air le plus naturel :
« Non, pas du tout, mais que vous est-il arrivé ?
— Tu trouveras du baume pour les brûlures dans la petite armoire là-bas. Ce n’est pas grave, mais ça cuit. Je vais m’en coller une bonne couche. Pas la peine d’embêter les autres là-haut. »
Bob lui décocha une grimace en guise de réponse et alla chercher la pommade. Il aida le mécanicien à se soigner et quitta la salle des machines pour regagner sa cabine. La douleur se faisait plus intense. Dès qu’il fut seul et certain de pouvoir lire la réponse en toute tranquillité, il demanda au Chasseur :
« Je croyais que vous pouviez me protéger des blessures ? Regardez ce que vous avez pu faire à mon ancienne coupure. » Et il indiquait la longue cicatrice que l’on distinguait à peine encore sur son bras.
« Je me suis contenté d’empêcher tout épanchement de sang et j’ai détruit les bactéries dangereuses, répliqua le Chasseur, mais une brûlure est très différente d’une coupure. Pour vous empêcher de souffrir il faudrait couper les nerfs.
— Eh bien, coupez-les, car cela me fait mal.
— Je vous ai déjà dit que jamais je ne ferais quoi que ce soit qui pût vous diminuer physiquement. Les cellules nerveuses se reconstituent très lentement, et je ne veux pas vous priver de votre sens du toucher. La douleur est un avertissement tout à fait naturel. Je ne guéris rien, je me contente simplement d’arrêter toute perte de sang et toute infection. Quoi que vous puissiez penser, je ne possède pas de pouvoir magique. J’ai pu empêcher que cette brûlure ne fasse une grosse cloque en m’opposant à une fuite du plasma et croyez-moi, vous auriez souffert davantage autrement. Mais je ne puis en faire plus. D’ailleurs, même si j’avais le pouvoir de vous épargner de souffrir, je n’en userais pas. Il faut que vous conserviez l’habitude de faire attention à vous. J’ai assez à faire en m’occupant des petites blessures que vous pourrez recevoir. J’attendais toujours l’occasion de vous le dire et j’en profite à présent pour insister sur ce point. Vous devez faire attention comme si je n’existais pas. Autrement vous agiriez un peu comme une personne qui se refuse à observer le code de la route pour la simple raison que son garagiste lui répare gratuitement sa voiture. »
Le Chasseur avait pourtant fait autre chose, mais il n’en parla pas. En effet, une brûlure grave cause le plus souvent une forte commotion. Dans ce cas les vaisseaux sanguins de l’abdomen se relâchent, entraînant une diminution de pression dans le sang et la victime devient pâle et frise souvent l’évanouissement. Prévoyant cela, le Chasseur était intervenu au moment même de l’accident en resserrant les vaisseaux sanguins comme il l’avait fait précédemment autour des muscles de Bob et en synchronisant ses efforts avec le rythme des battements du cœur. Son hôte n’avait donc pas ressenti les nausées qui accompagnent en général de tels accidents. En même temps, le Chasseur avait entouré de ses propres tissus la chair brûlée pour empêcher toute perte de plasma.
C’était la première fois que Bob s’était adressé à son compagnon invisible sur un ton désagréable. Heureusement le jeune garçon avait assez d’équilibre pour comprendre que le Chasseur avait raison et pour dissimuler le léger ennui qu’il ressentait malgré tout devant le refus du Chasseur.
« Au moins, se dit-il, en secouant sa main qui le brûlait toujours, je ne risque pas de complications. »
Cet incident obligeait malgré tout Bob à modifier l’idée qu’il s’était faite de cette vie commune avec le Chasseur. Il avait cru que la période durant laquelle allaient se poursuivre les recherches ouvrait pour lui une vie paradisiaque. Il ne s’était jamais préoccupé sérieusement des petites blessures que l’on pouvait avoir, ni des rhumes et autres ennuis, mais il estimait que l’existence aurait été bien plus agréable s’il n’avait plus à y songer. Les piqûres de moustiques et de mouches lui étaient particulièrement désagréables, et il avait eu plusieurs fois envie de demander au Chasseur ce qu’il pouvait faire pour le protéger de ces sales bêtes, mais à présent il n’osait plus en parler. Mieux valait attendre et aborder ce sujet plus tard.
La nuit était particulièrement calme. Bob demeura assez tard sur le pont et de temps à autre allait échanger quelques mots avec l’homme de veille à la barre. Vers minuit, il quitta la passerelle et resta quelque temps encore accoudé à l’arrière pour regarder le sillage argenté que laissait le navire.
Au cours de la nuit, le vent fraîchit et au réveil la mer était assez forte. Le Chasseur eut l’occasion de rechercher les causes et la nature du mal de mer et arriva à la conclusion qu’il ne pouvait rien y faire sans porter gravement atteinte au sens de l’équilibre de son hôte. Heureusement pour Bob, le vent se calma au bout de quelques heures et les vagues devinrent moins agressives. Le navire avait à peine effleuré la zone de la tempête.
Dès qu’il put se mêler de nouveau aux membres de l’équipage, Bob oublia aussitôt ses ennuis passés. Il savait que peu après midi l’on apercevrait son île à l’horizon. Au cours des quelques heures qui lui restaient il courut du pont à la passerelle, pour repartir aussi vite vers les machines, faisant le tour de tous les amis qu’il comptait à bord et frôlant des dangers qu’il ne soupçonnait même pas.