Je pousse la porte du jardinet. Et j’aperçois Félicie, ma brave femme de mère, qui met à refroidir une crème renversée sur la fenêtre.

En me voyant, elle manque la renverser pour de bon.

— Mon petit ! s’écrie-t-elle.

Nous nous ruons l’un vers l’autre et nous nous embrassons vachement.

Elle est là, toute larmoyante, à écarquiller les yeux pour les égoutter et me regarder à son aise.

— Je savais que tu viendrais aujourd’hui, dit-elle. La preuve, j’ai fait une crème renversée et j’ai préparé des oiseaux sans tête.

— Tu sais toujours tout.

Je la prends par l’épaule.

— Dis, vieille mère, je ne t’ai rien rapporté de là-bas, sauf des dollars. On va acheter un frigo, puis on fera repeindre la salle à manger. Et aussi on changera la voiture. Non ?

Elle sourit.

— Mais oui, mon grand.

Et elle questionne :

— Ça s’est bien passé, à Chicago ?

— Merveilleusement bien.

— C’est un drôle de pays, hein ?

— Un drôle de pays, oui, m’man.

— Ce matin, je lisais dans le journal que des gangsters avaient enlevé un officier de police en traitement dans une clinique. Ils l’ont enlevé ainsi que sa secrétaire qui se trouvait à son chevet. Ils les ont arrosés d’essence et ils y ont mis le feu ! Tu ne crois pas que les journaux exagèrent ? Tu crois que c’est possible, des choses pareilles ?

Je me perds un peu dans le flou. Je renifle la crème qui fume sur la fenêtre. Je regarde la branche fleurie d’un arbre du jardin où deux merles se poursuivent pour se faire reluire.

— Penses-tu, m’man, dis-je enfin, ces affaires-là, c’est tout des charres !

FIN