... Un soir pâle d'août, la lettre qui annonçait à Yann la mort de son frère finit par arriver à bord de la Marie sur la mer d'Islande; - c'était après une journée de dure manoeuvre et de fatigue excessive, au moment où il allait descendre pour souper et dormir. Les yeux alourdis de sommeil, il lut cela en bas, dans le réduit sombre, à le lueur jaune de la petite lampe; et, dans le premier moment, lui aussi resta insensible, étourdi, comme quelqu'un qui ne comprendrait pas bien. Très renfermé, par fierté, pour tout ce qui concernait son coeur, il cacha la lettre dans son tricot bleu, contre sa poitrine, comme les matelots font, sans rien dire.

Seulement il ne se sentait plus le courage de s'asseoir avec les autres pour manger la soupe; alors, dédaignant même de leur expliquer pourquoi, il se jeta sur sa couchette et, du même coup, s'endormit.

Bientôt il rêva de Sylvestre mort, de son enterrement qui passait...

Aux approches de minuit, - étant dans cet état d'esprit particulier aux marins qui ont conscience de l'heure dans le sommeil et qui sentent venir le moment où on les fera lever pour le quart, - il voyait cet enterrement encore. Et il se disait:

--Je rêve; heureusement ils vont me réveiller mieux et ça s'évanouira.

Mais quand une rude main fut posée sur lui, et qu'une voix se mit à dire: "Gaos! - allons debout, la relève!" il entendit sur sa poitrine un léger froissement de papier - petite musique sinistre affirmant la réalité de la mort. - Ah! Oui, la lettre!... c'était vrai, donc! - et déjà ce fut une impression plus poignante, plus cruelle, et, en se dressant vite, dans son réveil subit, il heurta contre les poutres son front large.

Puis il s'habilla et ouvrit l'écoutille pour aller là-haut prendre son poste de pêche...