HISTOIRE DE SES ŒUVRES

«Il y a des personnes qui voudraient faire de la littérature une chose abstraite et l’isoler au milieu des choses humaines… Quoi! Après une révolution qui nous a fait parcourir en quelques années les événements de plusieurs siècles, on interdira à l’écrivain toute considération élevée, on lui refusera d’examiner le côté sérieux des objets! Il passera une vie frivole à s’occuper de chicanes grammaticales, de règles de goût, de petites sentences littéraires! Il vieillira enchaîné dans les langes de son berceau! Il ne montrera pas sur la fin de ses jours un front sillonné par ses longs travaux, par ses graves pensées, et souvent par ces mâles douleurs qui ajoutent à la grandeur de l’homme!… Pour moi, je ne puis ainsi me rapetisser, ni me réduire à l’état d’enfance, dans l’âge de la force et de la raison. Je ne puis me renfermer dans le cercle étroit qu’on voudrait tracer autour de l’écrivain…»[49].

C’est parce qu’il ne s’est pas renfermé dans ce cercle étroit que Chateaubriand a si puissamment agi sur son siècle. Il n’est pas possible de séparer chez lui l’homme de l’écrivain: l’homme de lettres et l’homme d’État, l’homme de pensée et l’homme d’action ne faisaient qu’un. Presque tous ses livres ont été des actes, et c’est pour cela qu’aujourd’hui encore, à cette aurore du XX e siècle, ils sont vivants comme au premier jour. S’ils n’avaient été que des fleurs de littérature et des modèles de style, ils dormiraient depuis longtemps, comme tant d’autres chefs-d’œuvre, dans la poudre des bibliothèques. Mais ils ont été aussi des leçons et des exemples, et ces leçons, ces exemples, nous avons besoin plus que jamais de les entendre et de les suivre. Ils ont été dictés par les plus nobles sentiments, par les plus généreuses passions, l’honneur, le désintéressement, le sacrifice. À quel moment fut-il plus nécessaire de réveiller dans les âmes, de ranimer dans les cœurs ces sentiments et ces passions? Chateaubriand dort depuis cinquante ans son dernier sommeil dans sa tombe de l’îlot du Grand-Bé. Et pourtant jamais heure ne fut plus opportune pour faire entendre de nouveau sa grande voix, pour remettre ses enseignements sous les yeux des générations nouvelles. Defunctus adhuc loquitur.[50]

Une rapide revue de ses principaux ouvrages va nous en fournir la démonstration.