EXAMEN MEDICAL

Au cours du déjeuner Bob s’efforça de dissimuler ses soucis. Le matin même sa mère avait cru trouver un moyen d’éclaircir une fois pour toutes le problème qui, d’après elle, devait le préoccuper. Depuis l’arrivée de son fils elle se demandait comment elle pourrait parvenir à le décider à aller voir le docteur de l’île. Elle venait de comprendre quel prétexte merveilleux allait être le coup de soleil. Elle n’eut pas l’occasion d’en parler à son mari, car Bob était rentré le premier à la maison mais elle était sûre que M. Kinnaird serait de son avis. Le repas touchait à sa fin lorsqu’elle mit le sujet sur le tapis.

Elle s’attendait à une discussion serrée et avait déjà préparé bon nombre d’arguments plus convaincants les uns que les autres. En effet Bob avait un peu honte d’avoir attrapé des coups de soleil si violents et souhaitait évidemment que cette petite aventure ne s’ébruitât pas. Mme Kinnaird fut donc profondément étonnée lorsque son fils accepta sans le moindre murmure de se rendre chez le médecin l’après-midi même comme elle venait de le lui proposer.

Bob avait souvent réfléchi aux questions que le Chasseur avaient laissées sans réponse. En particulier celles qui avaient trait aux détails qui lui permettraient de reconnaître le fugitif. En outre, le Chasseur n’avait jamais dit à Bob ce qu’il ferait une fois sa proie découverte. Si le Chasseur pouvait se débrouiller tout seul, parfait, mais Bob avait de plus en plus l’impression que son invité invisible ne savait que faire. En conséquence Bob estimait très urgent d’apporter lui-même une solution. Et en premier lieu, il devait, pour y parvenir, connaître tout ce qui concernait la race du Chasseur. Ce dernier avait dit un jour qu’il ressemblait à un virus. Il fallait donc découvrir une documentation sur eux, et où la trouver sinon dans le cabinet d’un médecin ? Évidemment, il lui aurait été difficile d’aborder cette question en premier après avoir été renvoyé chez ses parents par les médecins du collège et pourtant, il ne songea même pas à s’étonner en entendant sa mère lui faire cette proposition. Il se contenta d’accepter en y voyant un heureux coup du sort.

Le docteur Seever connaissait très bien Bob, comme d’ailleurs toutes les personnes nées dans l’île. Il avait lu le rapport envoyé à la famille par les médecins du collège et ses réactions avaient été les mêmes que celles de M. Kinnaird. Inutile de s’affoler. Néanmoins, il était heureux de voir le garçon. Bien qu’habitué aux diverses maladies et accidents, il ne put retenir un cri de surprise devant la teinte de la peau de Bob.

« Eh bien, mon vieux, lui dit-il, vous avez bien fait les choses pour votre retour !

— N’insistez pas, docteur. Je suis mieux placé que quiconque pour le savoir !

— On s’en doute en vous voyant ! Enfin, on va voir ce que l’on peut faire pour vous empêcher de cuire. Ce ne sera pas parfait, mais vous aurez moins mal. » Le docteur se mit en devoir de lui enduire le dos d’une pommade particulièrement grasse tout en continuant à parler : « Vous avez beaucoup changé ces derniers temps. Je me souviens de vous comme un des garçons les plus sérieux et les plus prudents de l’île. Vous avez été malade à votre collège dans le nord ? Je crois que votre père m’en a parlé un jour. »

Bob ne s’attendait pas à s’entendre poser la question si rapidement et sous cette forme, mais il avait déjà établi des plans pour y répondre en faisant dévier la conversation dans le sens qu’il souhaitait.

« Pas le moins du monde. Vous pouvez m’examiner des journées entières et vous ne découvrirez certainement pas un seul microbe. »

Le docteur Seever regarda longuement le jeune garçon et retira ses lunettes avant de répondre :

« C’est fort possible, mais cela ne prouverait certainement pas que tout va bien chez vous. Vous savez aussi bien que moi que ce ne sont pas des microbes qui sont la cause de ces coups de soleil bien réussis.

— Eh bien, je puis vous dire encore que je me suis foulé une cheville, coupé à plusieurs reprises, je suppose que cela n’a aucun intérêt. Vous vouliez certainement parler de mon état maladif, comme disent les médecins du collège ? Croyez-vous pouvoir découvrir ce qu’il y a, en admettant qu’il y ait quelque chose, simplement avec votre microscope ? »

Le docteur se mit à sourire, comprenant très bien où voulait en venir le jeune garçon.

« C’est très agréable de trouver quelqu’un possédant une telle foi dans la science médicale, répondit-il, mais je crains fort de vous décevoir. Laissez-moi une minute et je vous montrerai pourquoi. »

Le docteur acheva d’appliquer la pommade contre les coups de soleil, se lava les mains et alla prendre dans une armoire un microscope de belle taille. Des boîtes oblongues contenaient des séries de préparations et il chercha quelques minutes pour trouver ce qu’il désirait. Puis il en introduisit une sur la platine du microscope.

« Celui-ci est très facile à reconnaître, commença-t-il. C’est un protozoaire, une amibe. C’est une de ses sœurs qui est à l’origine de la dysenterie. Dans le genre néfaste, c’est un des plus gros.

— J’en avais déjà vu en classe d’histoire naturelle mais j’ignorais qu’ils pussent être la cause de maladies.

— La plupart des amibes sont inoffensives. Regardez celui-là à présent, ajouta le docteur en glissant une autre lame sous l’objectif, il est beaucoup plus petit. Le premier n’était pas un microbe à proprement parler. Celui-ci donne la fièvre typhoïde. Heureusement nous n’en avons pas eu de cas depuis très longtemps. Celui-là est encore plus petit et est responsable du choléra.

— On dirait une saucisse à qui on a oublié d’enlever une ficelle à un bout, dit Bob en relevant la tête.

— Vous le verrez encore mieux avec le grand objectif », dit le docteur en faisant pivoter la tourelle qui se trouvait au bas de l’objectif. Puis il s’assit dans un fauteuil pendant que Bob reprenait son observation.

« C’est le grossissement maximum pour un appareil de ce genre, mais il existe d’autres bactéries beaucoup plus petites. Certaines sont inoffensives, d’autres extrêmement virulentes. Encore au-dessous, sur l’échelle des grandeurs, on trouve les spirochètes qui ne sont peut-être pas des bactéries, et en dernier lieu viennent les virus. »

Bob abandonna le microscope et entreprit la tâche difficile de paraître intéressé sans toutefois laisser voir que la conversation venait d’atteindre le point où il voulait la mener.

« Alors, vous ne pouvez pas me montrer un virus, demanda-t-il en sachant parfaitement ce qu’on allait lui répondre.

— C’est précisément ce que je voulais vous dire. On en a photographié quelques-uns au microscope électronique et ils ressemblent un petit peu à ce bacille du choléra que je vous ai montré. En réalité, le mot virus a dissimulé pendant de longues années l’aveu d’une ignorance totale. De nombreux docteurs se trouvaient en présence de maladies qui semblaient causées par un être vivant, mais qu’on ne parvenait pas à déceler. On a baptisé ces êtres hypothétiques « virus filtrants » parce qu’ils passaient à travers la porcelaine des filtres les plus fins. On a finalement trouvé un moyen de déceler le virus chimiquement, en le cristallisant. Il était facile, par exemple, de constater que la même maladie se produisait lorsque l’on injectait les mêmes cristaux dissous dans l’eau. On a donc fait un grand nombre d’expériences très astucieuses pour déterminer la grandeur, la forme et autres caractéristiques de ces virus, sans que personne ne les ait jamais vus. Quelques savants pensaient et pensent toujours qu’il s’agit d’une molécule unique, énorme évidemment, peut-être plus grosse même que celle de l’albumine, qui est comme vous le savez le blanc de l’œuf. J’ai lu récemment quelques bons livres sur ce sujet et cela vous intéresserait peut-être ?

— Certainement, répondit Bob en s’efforçant toujours de dissimuler son anxiété. Les avez-vous là ? »

Le docteur se leva de son fauteuil et alla fouiller dans un autre placard d’où il retirait de temps en temps un gros volume qu’il feuilletait rapidement.

« Il y a pas mal de choses là-dedans, mais je crains que ce ne soit un peu trop technique. Vous pouvez le prendre si vous voulez. J’avais un autre ouvrage qui aurait été de loin meilleur pour vous, parce que beaucoup plus simple et plus vivant, mais je l’ai déjà prêté.

— À qui ?

— À l’un de vos amis ; le jeune Norman Hay. Il s’intéresse énormément à la biologie depuis quelque temps. Sans doute vous a-t-on déjà dit qu’il avait essayé de se rendre à Tahiti pour voir le muséum. Je me demande s’il espère me remplacer un jour. Enfin il a le volume depuis plusieurs mois déjà et vous pouvez le lui réclamer de ma part.

— Je vous remercie, docteur, et je n’y manquerai pas, répondit Bob de son ton le plus naturel. Mais ne pourriez-vous pas me dire tout de suite en gros ce que vous savez sur la séparation chimique des virus dont vous venez de me parler ? Je trouve curieux que l’on identifie une créature vivante par des procédés chimiques.

— Je vous ai déjà dit que l’on n’était pas certain que les virus fussent vivants. Pourtant il n’y a absolument rien d’extraordinaire dans les expériences dont vous parlez. Vous savez ce que sont les sérums ?

— Oui… et jusqu’à présent j’ai toujours cru qu’il s’agissait de substances que l’on employait pour guérir les gens de certaines maladies.

— C’est effectivement le cas le plus fréquent. Cependant on peu les considérer également comme des moyens de renseignement chimique. Les tissus de certaines créatures essaient de repousser et de détruire des sérums issus des mêmes tissus d’autres créatures. Vous pouvez très bien habituer un animal au sérum humain par exemple, puis d’après les réactions qui se produisent entre le sérum de cet animal et un élément inconnu, il est facile de découvrir si la substance inconnue provient de tissus humains ou non. Évidemment, les détails peuvent varier à l’infini, mais c’est une façon très précise de savoir si une trace de sang ou de toute autre substance provient d’un homme ou d’un animal.

— Je comprends, dit Bob les sourcils froncés, parle-t-on de ces questions dans ce volume ?

— Non, je puis vous donner un livre sur ce sujet, mais je tiens à vous prévenir tout de suite qu’il est un tout petit peu plus élevé que ce que l’on enseigne dans les classes de chimie. Pourquoi me demandez-vous tout cela ?

— N’ayez crainte, je ne cherche pas à vous remplacer. Je me suis trouvé mêlé à un problème et aimerais beaucoup le résoudre tout seul, si c’est possible. Dans le cas contraire je reviendrai vous voir pour vous demander encore votre aide. Merci, docteur. »

Seever acquiesça et abandonna son bureau pendant que Bob s’en allait. Le médecin resta plusieurs minutes à réfléchir.

Bob était certainement beaucoup plus sérieux qu’il ne l’avait jamais été, et il serait évidemment très agréable de savoir quel était le problème qui l’agitait tant. Selon toute vraisemblance une telle disposition d’esprit provenait très probablement des changements d’attitudes qui inquiétaient tant les autorités scolaires. Au moins c’était un rapport très encourageant qu’il allait faire au père de l’enfant.

« Je n’ai pas l’impression qu’il faut vous inquiéter le moins du monde, dit-il à M. Kinnaird. Votre fils s’intéresse brusquement à des questions qui semblent avoir un côté scientifique certain. Le jeune Hay a fait exactement la même chose il y a quelques mois. Vous agirez sans doute de même lorsque vous vous trouverez en face d’un problème important. Il est, de toute évidence, en train de changer la face du monde et vous entendrez parler de lui en temps utile. »

Bob n’avait nullement l’intention de réformer le monde dans aucun domaine. Toutefois, certains problèmes qui s’étaient posés au cours de la conversation de l’après-midi pouvaient très bien entraîner des transformations chez lui. À peine sorti du cabinet du médecin, il ne perdit pas de temps pour entrer en communication avec le Chasseur.

« Ne pourrions-nous pas nous servir de cette histoire de sérum dont parlait le docteur ?

— Je ne crois pas. Cette technique m’est assez familière et depuis le temps que j’habite en vous j’ai eu le temps de découvrir que votre sérum sanguin peut parfaitement servir, sauf dans un seul cas. Nous avons encore le temps de décider si nous l’emploierons ou non. Si nous ne pouvions y parvenir, je serais à même de faire des explorations extrêmement rapides grâce à mon contact personnel.

— C’est sans doute vrai. Vous pourriez peut-être me laisser faire, je ferai le sondage moi-même.

— C’est une idée, pensez-y. Savez-vous quand le jeune Teroa doit quitter l’île et comment on pourrait l’approcher ?

— Le navire vient ici tous les huit jours ; il sera donc là la semaine prochaine. Teroa repartira avec, en tout cas pas avant, car le Beam n’est pas dans les parages.

— Le Beam ?

— C’est un yacht appartenant à l’un des gros pontes de la compagnie qui vient voir de temps à autre ce qui se passe ici. Je suis parti à bord l’automne dernier et c’est pourquoi nous étions si loin de l’île lorsque vous avez regardé pour la première fois aux alentours. Mais j’y pense tout à coup, ce bateau ne risque pas de venir, on l’a mis en cale sèche à Seattle au début de l’hiver. On veut lui installer sous la quille un système pour plonger de l’intérieur du bateau, et il est toujours là-bas. Je suppose que vous allez me demander maintenant qui a pu quitter l’île pendant notre absence ?

— Exact, et je vous remercie d’avoir pensé à soulever cette question assez rapidement. »

Si le Chasseur avait pu sourire, nul doute qu’il en eût profité largement.

Bob ne possédait pas de montre, mais était à peu près certain que l’heure de la sortie de l’école approchait et il se dirigea dans cette direction. Étant un peu en avance, il dut attendre devant la grille mais ses amis vinrent le rejoindre peu après, sans chercher à dissimuler l’envie qu’ils ressentaient en voyant Bob.

« Ne vous occupez pas de la chance que j’ai de ne pas aller en classe, dit Bob. Mettons-nous plutôt au travail pour arranger le bateau. Lundi prochain ce sera mon tour d’être avec vous et j’aimerais bien m’amuser un peu avant.

— En tout cas, dit Hay, on peut dire que tu nous as apporté la chance. Cela fait des mois que l’on cherche une planche pour réparer le bateau et personne n’a rien trouvé jusqu’à ton arrivée. Ne croyez-vous pas, les gars, qu’il vaudrait mieux aller installer cette planche dans le bateau pendant que la chance est avec nous ? »

Un chœur s’éleva pour acquiescer à cette proposition, puis ce fut la ruée générale pour prendre les bicyclettes. Bob qui revenait de chez le médecin s’installa sur le cadre de celle de Malmstrom qui l’amena jusque chez lui où il put prendre son vélo et quelques outils. Malmstrom et Colbry en firent autant, et bientôt tout le monde se retrouva, pieds nus et pantalons retroussés à l’endroit où une petite rivière serpentant dans le sable servait de trop-plein au lagon qui se vidait par là. Le bateau était toujours à sa place avec la planche déposée la veille. Ils laissèrent tomber leurs outils. Les garçons étaient heureux de voir que leur découverte était encore là, car le bois plat était précieux dans cette partie de l’île. Bob vit tout de suite qu’on ne lui avait pas menti en déclarant que Colby était passé à travers le fond du bateau, en effet une des grandes planches du fond manquait.

Les connaissances en menuiserie des garçons étaient assez rudimentaires, mais suffisantes, néanmoins, pour une pareille réparation. Après quelques tâtonnements mais avec beaucoup d’adresse ils finirent par obtenir un résultat à peu près satisfaisant.

Ils poussèrent le bateau à l’eau, allèrent chercher les avirons dissimulés dans les buissons et toute la troupe embarqua. L’idée leur vint bien qu’il serait plus prudent de laisser gonfler la nouvelle planche dans l’eau et de voir si le bateau était vraiment étanche, mais tous étaient d’excellents nageurs et leur impatience était trop grande pour qu’ils s’arrêtassent à de semblables détails. Les joints fuyaient bien un petit peu au fond, mais la demi-noix de coco qui servait d’écope venait facilement à bout du trop-plein d’eau. Les deux plus jeunes de la bande étaient chargés de l’évacuation de l’eau pendant que Bob et Tout-Petit ramaient et que Rice tenait le gouvernail. Bob s’aperçut soudain qu’il manquait quelque chose à la proue du navire. Et en réfléchissant il comprit qu’un membre de la bande était absent, c’était le chien. Il aurait dû s’en apercevoir avant et demanda à Rice :

« Où est Tip ? Je ne l’ai pas vu depuis mon arrivée.

— Personne n’en sait rien, répondit le rouquin. Cela fait déjà un certain temps qu’il a disparu… c’était… oui, c’était bien avant Noël. On l’a cherché partout. Je crains qu’il n’ait eu envie d’aller à la nage dans une de ces petites îles où Norm a son réservoir. Tu te souviens qu’on allait souvent là-bas sans lui. Il a peut-être été boulotté par un requin, quoique cela semble peu vraisemblable. D’abord il n’y a pas loin d’ici à l’autre île et d’autre part je n’ai jamais vu un requin si près de la côte. On dirait qu’il s’est évanoui dans l’atmosphère.

— C’est étrange. Avez-vous cherché dans les bois ?

— Un peu ; tu sais que ce n’est pas commode d’aller dans la jungle si l’on s’écarte des chemins. De toute façon il nous aurait entendus appeler. J’ai beau réfléchir je ne vois pas ce qui aurait pu le tuer là-bas. »

Bob acquiesça et reprit à mi-voix, comme se parlant à lui-même :

« C’est pourtant vrai si on y réfléchit, il n’y a même pas de serpent. » Puis il ajouta un peu plus fort :

« Qu’est-ce que c’est que cette histoire de réservoir de Norm ? Il veut faire de la concurrence à la société d’ici ?

— Pas de danger, répliqua Hay en s’arrêtant un instant d’écoper. J’ai nettoyé une des mares qui se trouvent dans les récifs non loin de la plage et j’ai mis une petite muraille autour. J’ai commencé à y jeter un tas de poissons dans le dessein de faire un aquarium. Au début je faisais ça pour m’amuser, mais beaucoup de journaux cherchent des photos de poissons. J’en ai envoyé en couleurs, tout le monde avait l’air content. L’ennui est que rien ne semble vouloir vivre très longtemps dans mon aquarium. Même les coraux y meurent.

— Tu n’as pas dû pouvoir y aller depuis que le bateau est cassé. Si nous y faisions un tour ?

— Oh si ! J’y allais tous les deux jours à la nage avec Hugh ou Tout-Petit, et j’ai pu me rendre compte que mes poissons n’allaient pas très bien. Vous croyez qu’on a le temps d’y aller et de revenir avant le dîner ? On a passé pas mal de temps sur le bateau et le soleil commence à descendre. »

Tous les garçons levèrent les yeux pour voir si c’était vrai. Leurs parents avaient depuis longtemps abandonné l’idée de les empêcher d’aller explorer les lagons derrière le récif, pourtant par une sorte d’accord tacite les heures de repas étaient respectées. Sans plus de commentaires Rice amorça un virage et mit le cap sur le fond de la crique. Les rameurs se penchèrent un peu plus sur leurs avirons.

Bob ramait sans fixer son esprit sur un point particulier. Tous les spectacles qui s’offraient à lui semblaient intéressants, mais aucun n’avait de rapport précis avec le problème qui l’agitait. Le Chasseur estimait que Teroa devait être examiné, mais il n’avait pas de soupçons bien nets. Cette décision était uniquement due au départ prochain du garçon. Il se souvint alors de la conversation qu’il avait eue avec Charlie le matin même et se demandait si le jeune Polynésien avait pu trouver Rice à l’heure du dîner.

« Quelqu’un a-t-il vu Charlie Teroa aujourd’hui ? demanda Bob.

— Non, répondit Malmstrom, il vient deux jours par semaine à l’école pour ses cours de navigation et c’est tout. Tu crois que cela lui servira à quelque chose un jour ?

— Sûrement pas avec quelqu’un qui le connaît bien, déclara Rice d’un air méprisant. Personnellement j’aimerais mieux engager un type qui puisse au moins rester éveillé durant le jour.

— Pourtant il a l’air de faire pas mal de travail dans son jardin, remarqua Bob avec un sourire.

— Tu penses ! avec sa mère qui le surveille et sa sœur qui l’aide. Tu ne sais pas que lorsqu’on a voulu approfondir la passe est l’automne dernier il s’est endormi sur une charge de dynamite ?

— Tu es complètement fou !

— Pas du tout. On l’avait envoyé porter une caisse dans un bateau au cas où on aurait eu besoin de plus d’explosifs et vingt minutes plus tard mon père a trouvé l’embarcation amarrée au rocher et Teroa profondément endormi la tête sur la caisse de dynamite. Il a eu de la chance qu’il n’y ai pas eu de détonateur dessus et que les vagues n’aient pas été assez fortes pour faire cogner l’embarcation sur les rochers.

— Ce n’était peut-être pas uniquement de la chance, fit remarquer Bob, car il savait très bien qu’il n’y avait pas de détonateur, donc aucun danger.

— Possible, en tout cas je n’aurais pas pu le supporter longtemps dans mes parages », lança Rice d’un air mauvais.

Bob regarda le garçon roux qui n’était pas très grand pour son âge et lui dit :

« Si tu continues à l’embêter, il te balancera à la flotte un de ces jours. De plus est-ce que cette histoire de passager clandestin ne venait pas de toi ? »

À juste titre, Rice aurait pu demander ce que la tentative de fuite sur le navire avait à faire avec la question, mais il baissa la tête et ne dit rien. Quelques instants plus tard le fond du bateau raclait le sable de la plage.