« Le poulet-cocotte ! »

Je pars du building poulet d’une démarche de gladiateur, mais je suis un tantinet moins fiérot lorsque je me retrouve sur le macadam.

En un temps record, j’ai défriché un peu le terrain ; seulement je suis un peu moins fracassant, car je ne sais plus du tout que faire.

Faut comprendre ! En réalité, je suis seul dans cette ville tentaculaire. Tout seul comme un toutou perdu. Maintenant, je sais que je ne puis compter d’une façon vraiment effective sur la police, because la police d’ici a ses chouchous et elle fait gaffe où elle pose ses grands pieds. J’ai contre moi le clan Maresco qui ne doit pas savourer outre mesure mon entrée de cirque dans son burlingue. Lorsqu’il saura que je suis allé briser les nougats à Seruti, il montrera les chailles, c’est officiel. Et je vous parie le bouton de jarretelle de Greta Garbo, la Divine, contre un préservatif d’occasion que, dès demain matin, Grane, le brave Grane, me convoquera gentiment dans son cirque et me demandera non moins gentiment de mettre l’océan Atlantique entre Chicago et moi !

Probable qu’il doit regretter amèrement sa brillante initiative. Il donnerait son amygdale gauche pour ne pas m’avoir fait venir.

Plus je gamberge à ce blot, plus je me dis que la police d’ici a demandé mon concours afin de faire plaisir au public et, surtout, pour renforcer l’idée qu’il s’agit d’un sadique de nationalité française. Tout en réfléchissant, je gagne mon hôtel.

Au moment où j’y pénètre, quatorze gnaces assis dans le hall se dressent et m’entourent. Ils ont des appareils photographiques et mâchent du chewing-gum, ce qui indique clairement que j’ai affaire à des journaleux.

Le pire, c’est qu’ils croient parler français. Ils m’accablent de questions, le magnésium crépite… Je suis aveuglé, assourdi, bousculé…

Celui qui jacte le françouze le plus potable me dit qu’ils veulent une interview de moi. Est-ce que j’ai une idée sur l’affaire ? Est-ce qu’il y a beaucoup de sadiques en France ? Est-ce la spécialité de la maison ?… etc.

Je lui réponds que je n’ai rien à dire et je lui demande qui a rencardé la presse sur ma présence ici.

Il me dit qu’ils ont été avertis par un coup de tube anonyme. Je serre les poings ! Probable que c’est un coup à Maresco ou à Seruti, ce qui revient au même. Ces sagouins se sont dit qu’en me flanquant cette meute enragée dans les guibolles, ils m’écœureraient en paralysant mes gestes.

J’essaie d’abord de leur échapper à coups d’épaules, mais je comprends vite qu’il ne faut pas y compter. Un paquet de journaleux, à Chicago, c’est une hydre. On lui coupe une tête, il en repousse instantanément une autre !

Le mieux, c’est de leur refiler la matière d’un papelard. Pourquoi, après tout, ne leur dirais-je pas ce que je sais ? Cela donnerait à réfléchir à l’assassin.

Je déballe donc la totalité du paquet. Tout y passe : les sept billets rédigés simultanément, la fille butée ailleurs que dans le taxiphone, tout !

Je vais jusqu’à parler de Seruti, vieille connaissance de la police parisienne. Ils en ont pour leur salive, les vaches !

Leur culot aidant, ils vont me tartiner quelque chose de soigné !

Enfin, je finis par leur glisser des pattes. Et je me fais propulser dans ma chambrette pour y prendre une nouvelle douche, car toutes ces allées et venues m’ont fait transpirer et je tiens à me présenter nickel chez Cecilia. J’ai bien droit à une petite soirée de délassement. Non ? Depuis que je suis arrivé, j’ai pas arrêté de cavaler de gauche à droite !

Il est huit heures lorsque je redescends, parfumé comme un slip de marié !

Je cramponne un taxi en lui colloquant l’adresse de ma blonde secrétaire. En cours de route, je me fais arrêter devant un fleuriste et je fais l’emplette d’une botte de roses crème absolument sensationnelles.

Je les tiens à la main au moment de sonner, ce qui ne contribue pas à me donner l’air spirituel.

Elle habite au douzième, Cecilia… dans un bel immeuble cossu.

Elle vient m’ouvrir en pantalon gris perle et chemisier saumon. Elle a un foulard jaune paille autour de la glotte et sur le ventre, un tablier blanc grand comme une pochette.

— Entrez vite ! me dit-elle.

Je lui tends ma boîte volumineuse.

— Qu’est-ce que c’est ? demande-t-elle avec cet air faussement surpris qu’ont les sauterelles lorsque vous leur apportez un cadeau.

— Voici des fleurs, des feuilles et des branches. Et puis, voici mon cœur qui ne bat que pour vous !

Elle pousse une exclamation ravie.

— Comment avez-vous su que j’adorais les roses ?

— L’amour rend futé !

Elle secoue la tête.

— L’amour ! Hé là ! Comme vous y allez !

— Cecilia ! M’exclamé-je sur un ton de reproche, vous qui n’avez peur de rien, auriez-vous peur d’un mot ?

— Qui sait ?

— Un tout petit mot…

Je lui chope le menton.

— On l’utilise beaucoup chez vous, n’est-ce pas ? demande-t-elle.

— Oui, mais à bon escient !

— Allons, dit-elle en se dégageant, laissez-moi, j’ai un dîner sur ma cuisinière.

L’appartement est gentil.

Un living-room dans le style nucléaire, avec des meubles qui ressemblent à des figures géométriques en couleurs. Une chambre, une cuisine-salle d’eau entièrement carrelée en bleu pâle. C’est net comme un magasin d’exposition, avec autant de personnalité qu’une cabine téléphonique.

— Installez-vous ! Me crie-t-elle.

Il s’échappe de bonnes odeurs de la cuisine. C’est réconfortant. Décidément, l’Amérique a du bon. J’accroche mon bada à un portemanteau représentant une tête de cygne stylisée. Puis je me coule avec précaution dans une sorte d’énorme tulipe, également stylisée, qui a la prétention d’être un fauteuil.

On n’y est pas mal du tout.

— Servez-nous deux Martini ! dit Cecilia.

A portée de paluche, il y a un bar roulant aussi biscornu que le reste de l’appartement.

— Vous aimez le style moderne ? Je questionne.

— Devinez ! fait-elle.

Elle arrive pour vider le verre que je lui ai préparé : un doigt de Martini dans un poing de gin.

— Vous n’aimez pas ?

— C’est-à-dire qu’à côté de mon vieux pavillon…

Je regarde autour de moi.

— J’ai un peu l’impression d’avoir mis le pied dans la lune.

Ça la fait marrer.

— Ce que vous êtes amusant !

— N’est-ce pas…

— Vous avez faim ?

— J’ai toujours faim, et toujours soif. Chez moi, c’est un mal chronique.

— Devinez ce que je vous ai cuisiné ?

— Du soja ?

— Non ! Du poulet à la crème !

— Sans blague ? On sait cuisiner, chez vous ? Je croyais que tout était en boîte !

— Mais il était en boîte !

Je ne me marre pas.

— Ah ! Bon…

— Vous savez dresser un couvert ?

— Je sais tout faire.

— Alors, les assiettes sont dans ce meuble !

Le poulet à la crème en boîte n’est pas mauvais, il faut le reconnaître. Vous faites frire des oignons dans du beurre et vous versez le contenu de la boîte dans la casserole pour le chauffer. Cuisine expresse, résultats satisfaisants !

Et consommation au whisky, s’il vous plaît !

Je siffle les deux tiers de la bouteille de scotch que Cecilia m’a fait déboucher. Elle siffle le troisième tiers. Elle en sifflerait un quatrième s’il y avait plus de trois tiers dans un flacon.

Telle qu’elle est, elle est bien partie, et moi aussi.

Je me dis que le moment est venu de lui parler un peu de certaines vieilles coutumes françaises.

Je pose mon verre vide et je la rejoins sur le divan. Elle a posé son coquin petit tablier blanc. Elle a un peu de feu aux pommettes.

Je passe mon bras sur son épaule et je l’attire contre moi. Sa bouche a une consistance qui me plaît. Pas trop ferme et pas molle, pourtant. Elle est fraîche ! Ça vaut tous les dentifrices à la chlorophylle que vous pouvez imaginer !

Sa langue est agile. Bref, tout ce qui est utile en société, elle le possède.

Vous n’auriez pas achevé de lire votre horoscope sur votre hebdomadaire habituel que ce que les vieilles tordues appellent « l’irréparable » est déjà accompli.

On est en route pour le septième ciel, Cecilia et moi. Et de la façon dont nous nous démenons, nous n’allons pas tarder à y parvenir !

Je vous le dis, on fait la pige aux ascenseurs express ! Le terminus est un éblouissement !