« Au dodo »
Dick et Jo sont ce qui se fait de mieux dans le style défonceur de portrait !
Des armoires de ce format, vous pouvez en chercher des mêmes pendant cent dix ans à la salle des ventes, vous ne réussiriez pas à en trouver. Ils ont des poitrines larges comme des portes de grange et des biscotos plus durs qu’un steak à bon marché.
Me voilà parti avec ces deux molosses sans un radis en poche, sans arme, sans papelards et, ce qui est plus grave, sans la moindre idée de l’endroit où je vais aller.
Maresco, c’est un drôle de vieux. Il doit croire au Père Noël à ses moments perdus. Parce que je lui ai prouvé que je n’avais pas la boîte crânienne fourrée aux amandes, il s’imagine que je vais dégauchir son tueur de souris en deux temps, trois mouvements. Décidément, j’aurais dû rester dans l’avion. Certes, j’ai fait un pas de géant en découvrant le trafic de noir du Rital, mais à quoi cela m’avance-t-il, je vous le demande ? Maintenant, je suis coincé. Maresco a une façon peu ordinaire d’utiliser les compétences. Ah ! La carne ! Ce vieux-là, quand il sera canné, faudra le faire naturaliser et l’exposer au musée de l’homme ; il vaut cinquante points d’entrée !
Dick me demande de son air le plus intelligent — ce qui est extraordinairement négatif :
— Où nous aller ?
— Nous coucher, je fais. Avec ce coup de téléphone sur la praline, maintenant, je suis bon à nib. Tant que j’aurai pas récupéré, il ne faut pas compter sur moi.
Il grommelle je ne sais quoi de pas gentil, gentil, certainement. Je m’installe à mon volant, lui à mes côtés, son autre portion derrière.
Et je reviens à l’hôtel où j’ai retenu ma piaulette, mais, comme je m’apprête à ralentir, je pense au petit Robert et je me dis que ce serait une sale blague à lui faire que de le colloquer dans ce bain. Si je descends à mon hôtel, il me rendra visite, les deux costauds le harponneront ; ils préviendront Maresco et il arrivera des choses pas gentilles au petit Belgicot.
Non, pas de ça, Lisette.
Je file un coup de seringue et le bahut fonce plus loin. A force de tourniquer, je finis par découvrir un autre hôtel.
— Dis donc, Dick, fais-je à mon convoyeur, je vais prendre une turne ici. C’est toi qui les allongeras, puisque je suis lavé de mornifle.
Il grogne.
Je considère que cette onomatopée est une approbation et je débarque dans l’hôtel.
C’est Dick qui va baratiner la séquelle de la réception. Moi, j’attends en compagnie de Jo, lequel ne me lâche pas d’un poil, comme s’il s’attendait à ce que je me déguise en trou de gruyère !
— Monter ! décide Dick.
On nous embarque dans un ascenseur. On nous conduit à deux chambres communicantes.
L’une a deux lits. C’est dans cette dernière que me fait entrer Dick.
— Déshabiller ! dit-il.
Je me déloque. Il prend mes fringues et va les planquer dans la piaule voisine. Ensuite de quoi, il tire une paire de menottes de sa poche. Il emprisonne mon poignet droit, me dit de me coucher et passe l’autre boucle de la poucette au lampadaire de fer forgé qui flanque le divan-lit.
Cela fait, il ôte sa veste, s’allonge sur le divan voisin après avoir fermé la porte à clé, glisse la clé dans sa poche et traîne son pieu devant la fenêtre.
Maresco savait ce qu’il faisait en me confiant à cette nurse. Voilà un chéri qui compte avec le hasard et ne lui laisse pas le moindre morceau de gâteau.
Il allume une cigarette et éteint.
Dans l’obscurité, je vois grésiller le bout incandescent de la cibiche.
Je me dis que mon but me fait mal, que la vie est moche et que le roupillon est une chose nécessaire. Je m’endors comme un petit ange !
Comme le disait avec pertinence Pierre Dac :
« Il ne faut jamais faire le jour même ce qu’on peut renvoyer au surlendemain matin. »