J’ARRACHE SON SECRET A UN GLAÇON… APRÈS QUOI JE LE FAIS FONDRE
Maintenant, je vais vous expliquer comment j’ai levé le lièvre « standardiste ».
C’est à la fois très simple et très complexe. Ça m’est venu en regardant le mort. Au cours de ma carrière, j’ai appris à devenir physionomiste et aussi anthropologiste. En regardant un mec, je devine sa nationalité. Ainsi, vous ne me feriez jamais prendre un Polak pour un Rital, ni un Anglais pour un Allemand. Mon mort, je le sais, je le sens, était français ; et même, au risque de passer pour un lavedu, je vous affirmerai qu’il était parigot.
Bon. Sur ce, la standardiste vient me bonnir que le gnace qui le demande se met à jaspiner avec lui dans un langage qui n’est ni du français, ni de l’allemand, ni de l’anglais, ni du rital… C’est là que je tique ! Là que mes rouages se bloquent ! Parce qu’un Français n’est, en général, pas plus doué pour les langues étrangères qu’un escargot pour la course à pied. Les rares langues qu’il jaspine sont justement celles mentionnées plus haut… En tout cas, je vois mal un gars de chez nous parler le langage secondaire tel que nordique comme le prétend la souris du bigophone.
Mon turf, c’est de voir le mal partout. J’ai donc fait la réflexion suivante, toujours en reluquant le cadavre, tandis que nous attendions la police :
— Cet homme a parlé en français à son interlocuteur. Je n’ai pas entendu ce qu’il disait, mais j’ai vu remuer ses lèvres et elles proféraient des mots français ! Alors pourquoi la standardiste aurait-elle dit qu’ils avaient eu une conversation dans une langue étrangère ? Parce qu’elle avait entendu la communication et qu’elle ne voulait pas me la retransmettre. Et pourquoi a-t-elle prétendu que cette langue n’était ni de l’anglais, ni de l’allemand, ni de l’italien ? Simplement parce qu’elle a été engagée dans cet hôtel à cause de sa connaissance de ces langues usuelles et que je n’aurais pas manqué de l’apprendre. Elle a pris les devants en me disant qu’elle les parlait mais que le langage employé par les correspondants était inconnu d’elle…
Et la suite des événements m’indique que j’ai eu raison.
Alors, j’en viens automatiquement à me poser une autre question ; et n’importe qui, même le plus bouché d’entre vous se la posera itou : pourquoi cette employée de palace n’a-t-elle pas voulu me rencarder ?
Je crois deviner : c’est parce qu’au cours de cette conversation elle a surpris un secret qui peut lui rapporter quelque chose… Et ce secret, il me le faut.
Il y a un bouton d’appel à la tête du lit.
J’appuie dessus.
Un assez long moment s’écoule. Puis le petit rouquin qui m’a conduit à ma chambre apparaît.
— Monsieur a besoin de quelque chose ?
— Un café très fort et un whisky carabiné, petit, en vitesse.
Il s’incline.
— Oui, monsieur, tout de suite !
Il court jusqu’à la porte pour me montrer sa célérité. Une fois qu’il est de retour avec son plateau, je le questionne :
— Mais, ma parole, tu passes toute la nuit !
— C’est mon service : huit-huit, monsieur…
— Vous marchez tous sur cet horaire ?
— Tout le personnel, oui, m’sieur.
— Même le standard ?
— Tous, oui, m’sieur.
— Eh bien ! fais comme le nègre, mon petit vieux.
— Comme le nègre ?
— Continue.
Il ne comprend pas, mais je lui donne un bifton qui lui redonne le sourire et il se retire satisfait.
Je le rappelle.
— Sois gentil, appelle-moi à sept heures.
— C’est la standardiste qui se charge des réveils, monsieur.
— J’ai horreur d’être réveillé par une sonnerie de téléphone, ça me fout en renaud pour la journée… Dans ce cas, je vous appellerai.
— Au poil !
Lorsqu’il est parti, je me couche après avoir englouti mon whisky et je me mets à roupiller comme l’auditoire de M. André Billy lorsque ce dernier prononce une conférence aux Annales !
A sept heures, le petit gars, fidèle à sa promesse, vient me réveiller.
Je prends une douche très froide, histoire de compenser mon manque de sommeil. Je me fringue et je décroche le téléphone une fois encore.
— Allô ! mademoiselle, c’est encore moi, je fais. Dites-moi, je quitte l’hôtel à l’instant. Si vous entendez parler de quelque chose de neuf, prévenez la police, n’est-ce pas ?
— C’est déjà d’accord avec les policiers de cette nuit, affirme-t-elle.
Donc, elle est au courant… Les matuches genevois lui ont cassé le morcif.
J’entrouvre ma porte comme si la piaule était vide et je m’allonge entre le lit et le mur, sur le tapis.
Il ne me reste plus qu’à attendre une fois de plus pour vérifier si mes conclusions sont exactes. J’attends une demi-heure environ. Ma montre marque huit heures dix et je commence à prendre mal au dos.
Soudain, j’entends un glapissement dans le couloir… Quelqu’un pousse ma porte et jette un coup d’œil dans ma piaule. J’ai rudement bien fait de me carrer derrière le plumard. Ce quelqu’un n’entre pas, mais passe à la pièce voisine. Une clé dans la serrure. Le quelqu’un entre… J’attends une minute environ et je vais jusqu’à mon petit trou.
C’est bien la standardiste qui se trouve dans la chambre du drame. Elle est vêtue d’un manteau vert à col d’astrakan et elle fouille méthodiquement. Elle ouvre les tiroirs des meubles. Inventorie l’armoire… Soulève le matelas.
Je pense que mon heure d’entrer en scène « a sonné ».
Je sors de ma chambre et, à pas de loup, gagne le 214.
J’en ouvre très doucement la porte. J’entre. La fille, au mépris de ses nylon-cristal, est agenouillée sur la moquette et regarde sous le lit. Sa croupe est si suggestive que j’en ai le souffle coupé. Moi, les nuits presque blanches me titillent les nerfs et quand je vois une femme dans cette position, j’aurais tendance à penser à autre chose qu’à la révocation de l’Edit de Nantes.
Je cramponne mon revolver, et, d’une voix brutale, je demande :
— Vous avez perdu votre bouton de jarretelle, mademoiselle ?
Elle est debout en un éclair. Elle me regarde, pousse un cri terrible et ses yeux s’écarquillent tellement que ses roberts vont dégringoler sur le plancher.
Comprenez bien ce qui se passe dans son cabochon : elle ignore que je suis le flic français. Pour elle, je suis le type somme toute mystérieux qui est venu lui demander dans la nuit des nouvelles de Mme Fouex. Et ce type mystérieux tient un revolver !
Je pense qu’elle doit avoir davantage les flubes devant un gangster que devant un policier…
J’aurais fait un excellent comédien car j’entre illico dans la peau des personnages que je veux interpréter.
Je m’approche de la môme terrorisée et je lui flanque une double mornifle en aller-retour.
— Ceci pour t’apprendre à ne pas mentir à des types comme moi, ma beauté.
Elle tremble comme un feuillage en automne.
Elle doit sentir venir sa dernière heure.
D’une bourrade, je la pousse à la renverse sur le paddock.
— Pourquoi m’as-tu bourré le mou ? je lui demande.
Elle se met sur un coude et me regarde sans répondre.
Je m’assieds à ses côtés sur le lit.
— Ecoute, poulette. Je ne sais pas ce qui me retient de te saupoudrer au plomb ! Quelque chose me dit qu’un morceau d’acier manque à ton genre de beauté et ferait bien dans ton crâne. Tu m’écoutes ?
— Oui. Mais je n’ai rien fait…
— Si.
Elle détourne son regard.
— Dans la soirée d’hier, quelqu’un a téléphoné à la soi-disant bonne femme qui occupait cette pièce, c’est vrai ?
— Oui.
— Qui était-ce ?
— Une femme, dit-elle.
— Tu as écouté leur conversation ? Oui.
— Qu’ont-elles dit, ces chéries ?
Elle la ferme.
— Je ne sais pas si tu es empêchée du cervelet, mais je crois que n’importe qui l’ouvrirait à ta place. Je vais t’aider à accoucher, mignonne… Dans la conversation, il a été question d’un objet de valeur que l’occupante de cette pièce devait cacher ici. Et tu es une petite fille cupide, mon ange… Tu t’es dit, comme ça, bêtement, que si tu pouvais mettre la main sur le magot, ça te ferait une dot.
Je fais sauter mon revolver dans ma main.
— Allons, parle ! Qu’ont dit les filles au téléphone ?
Elle murmure.
— La femme de cette chambre n’était pas une vraie femme.
Je souris.
— Tiens, tu as découvert cela toute seule ?
— Oui, la femme l’appelait Georges… et il avait une voix d’homme !
— Alors ?
— La demanderesse a dit : « C’est toi, Georges ? »
« Il a répondu oui. Alors elle a dit : « Tu as réussi ? »
« Et il a dit « oui », à nouveau…
« Elle s’est mise à pleurer et a dit : « Malheureusement, il est trop tard… ».
« Il y a eu un grand silence… L’homme a murmuré : « Bon, je sais alors ce qui me reste à faire… Je vous dis adieu… » Elle a crié « Non ! Non ! Pas ça !.. »
« Il y a eu un nouveau silence. L’homme a murmuré : « Vous comprenez bien qu’il n’existe pas d’autre issue ! »
« Il a ajouté : « En ce qui concerne ce que j’ai sur moi, je vais le cacher dans ma chambre ici. J’occupe le 214… Il est inutile de laisser échapper une telle fortune… Peut-être pourrez-vous le faire récupérer… »
« La femme n’a rien répondu, mais elle a raccroché brusquement et l’autre aussi…
C’est tout ce qu’elle a à me dire. Le reste, y a pas besoin d’être champion du monde de mots croisés pour le deviner.
La souris, en entendant ça, s’est dit qu’elle serait vraiment locdue d’affranchir le flic français. Une telle fortune ! avait dit l’occupant du 214 ! Elle a donc inventé cette histoire de langue étrangère.
— L’appel venait d’où ? je lui demande.
Elle me fait cette réponse qui me stupéfie plus que tout le reste :
— De Paris !
De Paris ! Tout a démarré de Paris et l’affaire m’y fait retourner…
Curieuse aventure que celle-ci.
La môme me considère du coin de l’œil. Elle ne sait plus que penser de mon attitude. Elle n’ose espérer…
Je rengaine mon feu et je lui prends la tête dans mes mains. Elle a les yeux froids et les traits durs de la plupart des Suissesses. Ses lèvres sont minces… C’est quelque chose dans le genre d’un glaçon, mais d’un glaçon qui aurait son contingent de formes.
Ah, ces rondeurs !
J’entreprends une caravane de reconnaissance à moi tout seul et je la paluche un peu. Elle ne dit rien.
Je pousse un peu mon avantage et je vois que ce glaçon ne demande qu’à fondre.
Je lui fais alors une gentille séance de mains à mains comme vous n’en verriez jamais dans les meilleurs music-halls.
Elle pousse des petits râles qui me fouettent les sangs. C’est drôlement agréable de faire une séance de dressage avec une panthère comme ma miss Téléphone.
Lorsque je l’abandonne, elle est étendue en travers du lit où quelques heures auparavant s’est suicidé le fameux Georges.
Elle est presque dans la même position, seulement elle est tout ce qu’il y a de vivante… Je viens d’en avoir la preuve.
Je me redresse.
— Ecoute, ma poulette, on se reverra peut-être un de ces quatre matins… Ce sera toujours avec le plus grand plaisir. Mais avant de tirer ma révérence je vais te donner un conseil : ne cherche jamais à doubler un policier français.
Je lui montre ma carte. Elle est absolument sidérée.
— Ils ne sont pas faciles à posséder, les gars de la grande taule, ma jolie, ne les prends pas trop pour des gardes champêtres.
J’éclate de rire et je la laisse à sa stupeur.
L’un des flics genevois de la nuit m’attend à l’aéroport. Il tient une grande enveloppe sous le bras.
— Voici les photographies, monsieur le commissaire, j’espère que vous les trouverez bonnes.
— Merci, vous êtes gentil.
Un haut-parleur appelle sur l’aire de départ les voyageurs pour Paris. Je serre la dextre du collègue et je me trotte.
J’étais parti les mains vides et je rentre vingt-quatre heures plus tard avec les photos d’un mort, une carte d’identité qui doit être fausse, le souvenir d’un bon moment passé avec une souris, un disque mystérieux qui a, paraît-il, de la valeur et, planté au milieu du crâne, le plus gigantesque point d’interrogation qu’on puisse imaginer.