MON SUBCONSCIENT SE REMET À FAIRE DU SURVOLTAGE

Je mets un sacré moment avant de récupérer.

Je m’attendais à n’importe quoi sauf à cette issue !

Vous avouerez qu’il y a de quoi s’arracher les vertèbres cervicales pour s’en faire des cure-dents !

On n’a jamais vu ça sur cette sacrée planète à surprises ! En tout cas, moi, je n’ai jamais assisté à un meurtre de ce genre. Car ne nous gourrons pas : c’est d’un meurtre qu’il s’agit. Ma fausse dame d’un certain âge a été tuée… tuée d’un coup de téléphone. C’est un truc peu courant, vous en conviendrez.

Je retourne au téléphone.

— Existe-t-il un détective attaché à cet hôtel ? je demande à la standardiste.

— Oui.

— Envoyez-le-moi d’urgence…

— Bien, monsieur.

Elle doit se demander quel micmac je fais, la poulette. Je n’ai pas le temps de méditer sur les réactions d’une standardiste suisse devant les agissements d’un flic parisien.

Le détective frappe à ma porte.

Sa devise, ça doit être « célérité avant tout ». Pour la discrétion, y a qu’à renoucher sa bouille pour comprendre qu’elle est garantie sur facture.

C’est l’image du Suisse moyen. Il n’est ni grand, ni petit, ni gros, ni maigre, ni beau, ni moche, ni gland, ni malin. Il porte le costar anonyme de votre courtier d’assurances et ses yeux sont joyeux comme le jour où il pleuvait tant.

— Vous désirez ? demande-t-il.

Je procède par ordre, c’est-à-dire que je le fais entrer, que je lui montre ma carte et qu’enfin, je le rencarde sur les événements de ces dernières minutes.

Il fronce le sourcil. Sa bouche prend un pli amer.

Ce genre de pastaga ne lui dit rien qui vaille. Lui, c’est la catégorie détective de salon : c’est-à-dire que son boulot consiste à examiner les registres d’entrée pour vérifier si par hasard un ennemi public ne s’est pas fait inscrire, et à téléphoner aux banques pour savoir si les chèques des clients sont provisionnés.

— C’est effroyable, dit-il, du ton que prend votre belledoche pour affirmer que vos petits fours sont délicieux.

— Vous avez un passe-partout, je suppose ?

— Oui.

— Alors, ouvrons la chambre.

— Je dois tout d’abord avertir la police.

— C’est juste, mais ce client m’appartient davantage qu’à la police suisse. Il n’a commis aucun délit en territoire helvétique. J’entends l’examiner immédiatement. Pendant ce temps, prévenez les flics.

Il fait un signe d’assentiment, car, excepté une borne kilométrique, il n’y a rien de moins contrariant que lui.

Il sort un trousseau de clés de sa poche et nous gagnons la pièce voisine.

— Monsieur le commissaire, me dit-il, avant de pousser la porte, puis-je compter sur votre discrétion ? Pour le bon renom de notre établissement, je…

— Ça va, je fais, vous ne pensez pas que je vais réveiller tous vos clients, pour leur dire qu’un type vient de se flinguer dans l’hôtel.

Il ouvre.

Mon zouave est allongé en travers du lit.

Il est plus mort qu’un steak au poivre. La balle tirée à bout portant lui a fracassé le côté droit du bocal. Il est clamcé sur le coup.

J’examine attentivement ce qui reste de sa tirelire… Non, je n’ai jamais vu ce portrait. Méthodiquement, je fouille ses fringues. Je suis certain que la pochette de toile contient autre chose que le revolver et le petit disque. En effet, pour passer la frontière, il a dû montrer des papiers. Il y a une poche intérieure à sa robe. Cette poche contient du fric : une superbe liasse de billets de 100 francs, en tout trois mille francs… Au milieu de la liasse est une carte d’identité délivrée à Germaine Fouex, 12, rue de la Pompe, Paris. Née le 3 janvier 1900, à Nevers. Le revolver est un revolver courant, comme on en trouve chez tous les bons armuriers de France et de Navarre.

Le détective de l’hôtel me regarde inventorier tout ça avec une mine réservée et un tantinet réprobatrice.

— Puis-je alerter la police helvétique ? me demande-t-il d’un ton glacé.

— Faites.

Il va au téléphone. Ça ne m’arrange pas car je voudrais rester un moment seul dans la pièce.

— Non ! crié-je comme il tend la main pour s’emparer de l’écouteur.

— Pardon ?

— Téléphonez plutôt de ma chambre.

Je désigne l’appareil et je fais, mystérieusement :

— A cause des empreintes, vous comprenez ?

Comme il a des gargouillis dans la matière grise, il ne songe pas, qu’ayant le type sous la main, nous nous moquons bien des empreintes qu’il peut laisser sur l’ébonite d’un poste téléphonique…

Il sort pour aller dans ma chambre. Alors, comme l’a fait précédemment le défunt, je traîne une chaise auprès de l’armoire, je grimpe dessus et je promène ma main sur le meuble.

On a beau être en Suisse, pays de la propreté, je ramène pas mal de linons et de poussière avant de mettre la main sur le disque.

Lorsque je le tiens, je le glisse dans ma fouille et je m’accoude au montant du lit pour refiler un dernier regard au mort.

Je regarde ses mains. Elles sont fines, bien entretenues. Pas du tout des pognes de terrassier…

Il peut — ou plutôt il pouvait — avoir une trentaine d’années, Frégoli. A priori, je l’estimais plus vieux.

La partie convenable de son visage reflète une sorte de douloureuse surprise…

Quel mystère abrite cette mort récente ?

Mes collègues suisses sont très gentils.

Je leur explique que je suivais ce type dont les agissements paraissaient suspects et ils se déclarent tout prêts à me faciliter ma tâche.

— Tout ce que je vous demande, leur dis-je, c’est de me laisser cette carte d’identité et de me tirer des photos du gars, le mieux arrangées possible de manière à ce qu’on n’ait pas trop l’impression qu’il lui manque un bon morceau de crâne. Vous me ferez aussi une fiche de ses empreintes.

— A votre disposition, monsieur le commissaire.

— Il vous faut combien de temps pour me préparer ça ?

— Vous aurez les photos aux premières heures de la matinée, demain.

— A quelle heure y a-t-il un avion pour Paris ?

— A dix heures.

— On pourra me les apporter à l’aéroport ?

— Certainement.

— Maintenant, je voudrais vous demander un service : pendant quelques jours, j’aimerais que vous fassiez surveiller l’hôtel de façon à ce que toute personne demandant une certaine Mme Fouex soit aussitôt identifiée, c’est possible ?

— Parfaitement possible, monsieur le commissaire, vous pouvez compter sur nous !

— Bon, merci…

Une demi-heure plus tard, ils ont embarqué le cadavre par la sortie de service. Un larbin vient remettre la turne en état.

Je dois presque me pincer pour m’assurer que je n’ai pas rêvé cette histoire. Mais non : tout s’est bien passé comme je viens rigoureusement de le raconter…

Je pose ma veste, mes godasses et je m’allonge sur le pucier. Je sors le disque récupéré sur l’armoire et je l’étudie. C’est une rondelle de métal. On dirait du chrome, elle est percée de plusieurs trous minuscules, lesquels affectent des formes diverses. Certains sont en étoile, d’autres en croissant, d’autres décrivent des motifs bizarres.

Je tourne et retourne le disque entre mes doigts. Vraiment, je ne peux en deviner l’utilisation. Pourtant, il en a une. On ne s’amuse pas à fabriquer pour le sport une pièce aussi baroque. Et il représente quelque chose puisque, avec un revolver, il constituait tout le bagage d’un homme passant à l’étranger et puisque, surtout, cet homme le dissimulait avant de se donner la mort.

Tout ça m’a l’air d’un compliqué…

Je remets le disque dans mon mouchoir. Je fais un nœud au mouchoir pour ne pas risquer de perdre l’étrange rondelle et, après avoir convoqué ma précieuse personne à une conférence ultra-privée, je décide que je n’ai pas la moindre envie de dormir et que je serais cent fois mieux au bar de l’hôtel à siroter un verre de quelque chose plutôt que de me morfondre dans cette piaule. Rien n’est plus sinistre qu’une chambre d’hôtel lorsqu’on n’a pas sommeil et lorsque aucune souris ne vous y tient compagnie.

Je me refringue et je descends. Le bar est fermé. Le type de la réception pionce. Je contourne le hall et j’avise une pièce dont la porte est entrouverte. Au-dessus de l’entrée il y a marqué : TELEPHONE.

C’est dans ce local que se trouve le standard.

La préposée somnole sur un roman. C’est une belle fille blonde, un peu massive, avec des cheveux tressés et roulés en couronne autour de sa tête.

Je réfléchis un instant, tout en la considérant avec bienveillance. Puis je me décide.

Mon idée ne vaut peut-être rien, mais peut-être aussi est-elle à considérer.

Mon instinct, toujours lui, me dit de suivre les caprices de ma nature, quand bien même ceux-ci paraîtraient extravagants.

Tout mon truc est basé sur le fait suivant :

Le détective de l’hôtel, dans son souci de discrétion absolue, a-t-il mis une partie du personnel au courant du drame ?

Certainement pas.

Au téléphone, il n’a pas dû préciser à la police de quoi il retournait…

Enfin, la standardiste ne me connaît pas.

Je toussote pour la réveiller.

Elle se frotte les châsses et me bigle d’un œil neutre. Aussi neutre que son patelin.

— Il n’y a personne à la réception, je lui fais.

— Voulez-vous que j’appelle l’employé ?

— Non. Puis-je parler à Mme Fouex ?

Elle ne sourcille même pas.

— Il n’y a pas de Mme Fouex à l’hôtel, déclare-t-elle.

C’est vrai, notez bien… Néanmoins je ne puis m’empêcher d’admirer son aplomb.

J’insiste, histoire de me rendre compte à quel point elle a le mensonge facile.

— Elle est repartie ?

— Elle n’est jamais venue… Je ne connais personne de ce nom…

— Bon, excusez-moi, il doit s’agir d’une erreur.

Elle a un petit geste qui signifie : « Je vous en prie, tout le monde peut se mettre le doigt dans le coquillard. »

Je bats en retraite.

Je traverse le hall et franchis la porte-tambour. Un peu d’air me fera du bien et me permettra de tirer les conclusions qui s’imposent.

La nuit est froide mais douce cependant. Je me dirige lentement en direction du lac. Des étoiles passées à la peau de chamois brillent comme sur un képi de général.

Pourquoi ai-je senti qu’il y avait quelque chose de grinçant chez la préposée au standard ?

Voilà une souris que je n’avais jamais rencontrée… Sa voix est une voix normale, qui ne retient pas particulièrement l’attention. Au fil nous n’avons échangé que des paroles très banales.

Mettons que ce soit un petit mystère de mon subconscient. Un nouveau… Quand aura-t-il fini de me faire les cent dix-neuf coups, celui-là !

J’aperçois une enseigne au néon.

J’aime les enseignes au néon, la nuit, car, neuf fois sur dix, elles signalent un bar ouvert.

C’est bien d’une boîte qu’il s’agit. Ça s’appelle « Evasion ».

J’y pénètre… C’est plein d’une foule cosmopolite là-dedans.

Je torche un double whisky au bar et je me hâte de faire la valise. S’il y a des coins que j’abomine, c’est bien ceux-ci.

Le mieux est de retourner à mon hôtel.

En marchant, j’écoute mon pas ; mon pas, c’est un copain à moi, un vrai personnage qui me parle et qui ne me dit jamais que des choses très sensées.

En ce moment il me dit :

— Pourquoi la standardiste t’a-t-elle affirmé qu’aucune Mme Fouex n’est jamais venue dans l’hôtel ? Peut-être le détective l’a-t-il affranchie et est-ce lui qui a passé cette consigne… Oui, après tout, c’est possible.

Je traverse le hall, grimpe l’escalier et me retrouve dans ma chambre.

Ladite piaule est presque luxueuse, seulement elle est tapissée avec un papier à fleurs qui donnerait des cauchemars à un zombi.

Je m’empare du téléphone puisque, décidément, c’est un instrument à l’ordre du jour.

— J’écoute, fait la voix ensommeillée de la môme.

— C’est le policier français, fais-je.

Elle ne peut pas l’ignorer puisque c’est la chambre 215 qui l’appelle et puisque la chambre 215, c’est moi.

— Oui, dit-elle.

Pourquoi crois-je percevoir une prudence dans sa voix ?

Est-ce que je ne me monterais pas le bourrichon, par hasard ?

— Dites-moi, si quelqu’un demande après Mme Fouex, il est bien entendu que vous me faites signe, hein ?

— Mais oui, monsieur.

— Vous n’avez pas eu de nouvelle demande à son sujet ?

— Non, pas du tout.

Cette fois pas d’erreur : la petite grenouille se paie mon parapluie !