Une cervelle qui vaut de l’or

C’est un cauchemar presque voluptueux…

Voici plusieurs noyes que je le fais, et il est toujours le même, invariable comme le cycle des saisons.

Je suis dans le four, aux côtés de Pernette… Nous étouffons.

Je la respire… Je lui parle… Elle approuve…

Au cours de ces cauchemars je continue cet étrange interrogatoire… Je lui dis, par exemple :

— Pourquoi les Viets ont-ils buté cette concierge ?

Et elle me répond :

— Parce qu’ils l’ont un peu molestée pour savoir ce que vous lui vouliez… Et ils ne voulaient pas ensuite laisser un témoin gênant derrière eux.

— Pourquoi ont-ils égorgé Édith Almayer ?

— Pour la même raison…

— En somme c’est à cause de moi qu’ils tuaient…

— Oui…

— Pourquoi voulaient-ils me liquider aussi ?

— Parce qu’ils sentaient que vous brûliez, que, d’un instant à l’autre, vous alliez découvrir le pot aux roses… Et ils voulaient empêcher ça…

— Pourquoi ?

— Parce qu’ils n’avaient pas le document…

Et ce jeu des questions et des réponses se poursuit.

Je m’éveille chaque fois en sueur… J’éclaire, le fantôme disparaît. Je constate avec une joie sauvage que je ne suis pas enfermé dans le four, mais que je repose peinard dans ma chambre…

Je vais jusqu’à ma fenêtre grande ouverte afin de respirer le bon air de la nuit… Les œillets de mes massifs sentent fort, ils embaument tout le quartier…

Alors je reviens à mon lit… Je conserve la lumière éclairée et je me rendors. Mais la clarté renfonce mon cauchemar… À travers mon sommeil je la sens sur mon visage et je finis par croire qu’il s’agit de la terrible flamme de mazout…

Le toubib dit que j’en aurai pour un moment encore…

J’ai eu un choc. Il faut que j’aille me mettre au vert quelque temps, ça passera tout seul.

Seulement je ne pourrai jamais partir d’ici tant que je ne saurai pas ce que sont devenus les fameux documents.

Depuis trois jours tous les services disponibles ont mis des gars au tapin avec la photo de Stumer en poche. Ces mecs visitent les banques, les bureaux de poste, les consignes de gare et tous les endroits où le Suisse aurait pu laisser un dépôt.

Seulement je ne crois pas qu’on obtienne un résultat satisfaisant de ce côté-ci. Il n’était pas bouché, Stumer… Les documents, dans sa situation, il fallait qu’il les ait à portée de la paluche.

Alors je réfléchis, les bras repliés derrière la tête… Je réfléchis à en avoir mal au cœur. Ça n’est que par la pensée qu’on peut dénouer ce mystère. Que par une réflexion chauffée à blanc !

Et les nuits s’écoulent, tourmentées… Je me gave d’aspirine. Félicie trouve que je décolle… Je vais vous faire une confidence, surtout vous marrez pas ou sinon je vous tire un ramponneau : elle me fait prendre de la Quintonine, oui madame !

* * *

Et un matin, j’ouvre les châsses comme si c’était pour la première fois. Je regarde mon volet à demi ouvert se profiler sur le ciel bleu. Le soleil en fait un rectangle d’or qui se découpe sur les nues. L’air est léger, capiteux.

Je bâille et je descends en bas. Félicie grille des toasts et me prépare un Banania. Moi, je décroche le biniou…

J’appelle la morgue, je me fais connaître, je demande s’ils ont toujours les fringues d’Édith Almayer dans leurs archives.

Ils me répondent que oui. Je leur dis alors de me les faire apporter d’urgence.

Félicie qui a tout entendu me regarde :

— Qu’est-ce qui se passe, mon grand ?

Elle est au courant de mon tourment.

— Il se passe que je trouve étrange qu’une petite ingénue innocente ait accepté de quitter un job agréable à Pigalle pour se terrer en banlieue avec un truand comme Stumer, même si elle était sonnée pour sa poire. Il se passe que je trouve plus étrange encore qu’elle n’ait pas été surprise par les visites que Pernette m’a avoué avoir rendues à Stumer… Et surtout, M’man, il se passe que je n’admets pas que cette ingénue soit allée perquisitionner chez son frangin à un moment où elle était censée ignorer le décès de ce dernier.

« Bref, des ingénues comme celle-là, lorsqu’on les examine d’un peu trop près, on finit par les trouver bizarres, et pas tellement ingénues.

J’avale le Banania après avoir englouti quatre toasts, ce qui met Félicie aux anges…

* * *

Un petit sac de toile. Dedans, empilées, les fringues de la morte.

Je les retire lentement, domptant la répugnance que m’inspirent ces choses.

La robe… Je l’examine sous toutes ses coutures… La combinaison, la culotte, le soutien-choses, la gaine…

Ah ! la gaine ! Je vois que le caoutchouc est décousu à un endroit, au-dessus des pattes à jarretelles. Je passe le doigt par l’échancrure. Cela constitue une espèce de poche. Mais cette poche est vide. Je vérifie l’autre côté afin de voir si la même poche existe, mais non. Donc il y a du louche…

Du louche…

Je grimpe dans la chambre du meurtre… La chambre que Félicie appelait « bleue »…

Je m’adosse à la porte.

« Voyons, me dis-je… Supposons qu’Édith ait été dans le coup avec Stumer, supposons qu’elle ait caché les documents dans sa gaine… Supposons qu’elle les ait sur elle lorsque je l’ai amenée ici… Lorsque je lui ai parlé, elle s’est dit que ça sentait mauvais. Après mon départ, elle a compris que je finirai par la fouiller et par découvrir la cachette.

« Cela représentait la faillite pour elle.

« Alors une idée lui vient : planquer les papelards. Puisque que Stumer est mort (elle le croit mort puisque je lui ai dit), elle pourra jouer l’innocente ingénue jusqu’au bout…

« Pas un bruit dans la maison, elle est seule.

« Elle découd sa gaine avec ses ongles, elle prend les documents et…

« Elle ne peut pas les brûler. Elle ne peut pas les avaler non plus, il y en a trop épais ! Il lui reste la ressource de les cacher. Seulement les cacher où ? Elle est enchaînée au montant de son lit de cuivre.

« Sous le matelas ? Allons donc, ça n’est pas une planque, ça ! On trouvera illico les papiers… »

Je vais au lit, à la tête il y a deux boules de cuivre… Ces boules terminent les montants qui sont des tubes de fer…

— M’man ! criai-je à la cantonade, tu veux me monter la lampe électrique de poche, please!

Elle radine presto, Félicie…

Je braque le faisceau à l’intérieur du premier tube : peau de balle !

Les documents sont seulement dans le second.