MISS PORTEMANTEAU

Ce qui se dégage de cette découverte, c’est que ce « Champignon Bar » est de plus en plus suspect.

M’est avis que le hasard qui m’a révéré son existence m’a fait un joli cadeau ; c’est mon petit Noël en somme. J’hésite, puis je décide de pousser la conversation avec miss Porte manteau.

— Vous êtes bath, je lui fais.

Vous allez me dire qu’il faut être une suprême crème de gland, pour balancer un compliment de cette nature à une souris, fût-elle bouchée comme un autoclave, mais je vous réponds illico que moins on se casse les bonbons avec le beau sexe, mieux ça joue.

Je peux vérifier une fois de plus la justesse de cette méthode. La môme a des picotements et bat des cils comme Marlène lorsqu’elle se mettait à vamper le shérif de Texas City.

— Vous êtes un baratineur, remarque-t-elle finement.

— Avec les belles filles, toujours, c’est chronique ! On a essayé de me faire prendre des trucs vitaminés pour me faire passer cette manie, mais ça n a pas réussi.

Mes salades lui plaisent.

— On pourrait se voir après la fermeture ? proposé-je.

— Mais on se voit ! répond-elle, toujours finement.

Cette fille est c… à décourager le demeuré de mon village. Pourtant, il faudrait qu’elle se fasse vulcaniser encore deux fois plus d’idiotie pour me couper les brandillons.

— Allons, belle ténébreuse, ne tourmentez pas mon âme noble… Apprenez qu’il ne faut jamais jouer avec le coup de foudre, si l’on ne veut pas s’électrocuter.

« Vous partez à quelle heure ? »

— Trois heures…

Je bigle ma breloque, et je vois qu’il reste encore deux plombes à dégouliner. Je réprime une grimace.

— Vous piogez loin ?

— Ici…

— Ici ?

— Oui.

— Dans l’immeuble ?

— Oui. Je suis la fille de la concierge.

Elle ajoute vivement :

— Mais j’ai une chambre indépendante… Au fond du couloir…

Je réfléchis :

— Écoutez, mon chou, peut-être que je me trompe, si cela était, vous le direz, mais je sens que j’ai une grosse sympathie pour vous… Je sens que vous êtes la femme idéale pour me tenir la main lorsque je fais des cauchemars.

C’est pas vrai ?

Elle sourit comme la vache de Monsavon.

— Je parie qu’il y a des souris dans votre chambre, continué-je, passez-moi la clé et je leur flanquerai la frousse en leur racontant des histoires de gros vilain chat ; comme ça, tout à l’heure, vous pourrez faire dodo sur mon épaule…

Elle me regarde de cet air incertain qu’ont les gonzesses lorsqu’un mec qu’elles ne connaissent pas leur propose la bagatelle. Ce regard-là, elles l’ont toutes : les malignes et les locdues ; les vioques et les gamines ; les vertueuses et les paillasses… Il veut dire : « Est-ce que tu es franco, ou bien est-ce que tu mijotes autre chose ? » Lorsqu’une poulette le pose sur votre individu, c’est le moment de prendre votre air séraphique, les gars ; vous pouvez m’en croire…

Moi, des gerces, j’en ai pratiqué des tombereaux, je me suis farci des miss Europe et des marchandes de cresson, ça m’a permis de faire de la psychologie appliquée et de me construire des plans d’attaque…

Mes yeux deviennent moelleux comme de la crème Chantilly. Lentement, la cocotte se baisse et s’empare de son sac à main. Elle l’ouvre, y pêche une clef.

Je tends la main. Elle pose la clef sur ma paume ouverte, comme sur le satin d’un écrin.

— La porte au fond à gauche, souffle-t-elle. Vous serez sérieux ?

Je fais gravement signe que oui. Et pourtant, comment que j’ai envie de me gondoler !

Soyez sérieux ! Elles vous disent toutes ça… Notez bien, elles vous le disent généralement lorsque vous avez refermé la porte d’une piaule et que vous commencez à vous mettre à l’aise.

— Ah ! les petites pudiques, va !

Je lui mets une tape affectueuse sur la joue et je retourne au bar.

Pour les endofés qui se laisseraient abuser par mes faits et gestes, je dis : minute, pas de confusion ! Il ne s’agit pas du tout de polissonner avec la miss Portemanteau. Mais il se trouve que j’aimerais me rencarder à fond sur le « Champignon ». Connaître son histoire, ses petites histoires et tout… Connaître itou les lieux… Bref, je vais être dans la place, et si je sais me défendre, d’ici une paire d’heures, rien de ce qui touche à cette boîte ne me sera étranger…

Je demande au garçon une bière hollandaise ; puis un double cognac. Je paie et je sors.

Dehors, l’aboyeur bat toujours la semelle en marmonnant son laïus que personne n’écoute.

Quand il va rentrer chez lui, sa grognace sera obligée de le faire chauffer au bain-marie pour le décongeler.

— Et alors, je lui dis, la direction est donc fauchman, qu’elle ne t’offre pas une guérite !

Il me sourit tristement.

C’est le pauvre mec, le gnace qu’a pas eu de veine ; vous voyez le tableau ? Le type dont le père se piquait la ruche quand il était lardon, et qui lui filait des roustes monumentales… Le type qui arrive le dernier à la distribution et qui ramasse les miettes d’un bout à l’autre de l’existence. Je lui offre une pipe. Il l’accepte et me remercie comme si je lui mettais dans les pattes un contrat de super-vedette pour Hollywood.

— Drôle de temps, hé ? je poursuis.

C’est le genre de phase que vous pouvez toujours risquer pour amorcer une conversation.

— Ouais, il admet.

Et ça lui file un frisson de penser que le thermomètre descend à la vitesse d’un jeton dans un taxiphone.

— Y a longtemps que tu fais le turf ?

— Depuis mon accident.

Il soulève son bras gauche, et je vois qu’il n’a pas de paluche.

Moto…, dit-il. Avant, j’étais artiste. Oh ! un numéro de comique troupier… Ça s’est démodé vite…

C’est bien ce que je pensais : la vie a été dégueulasse avec cézigue.

— Dis donc, je fais, c’est honteux de te laisser à la lourde par un temps pareil…

— C’est le métier…

— Comment s’appelle le gars qui tient ce boui-boui ?

— Schwartz…

Si vous croyez que je sursaute, vous vous mettez le doigt dans l’œil jusqu’à toucher le fond de votre slip. Il y a un moment déjà que je m’attends à un truc de ce genre…

— Il perche ici ?

— Ouais.

J’hésite un instant, puis je tire les photos d’Héléna de ma poche.

— Écoute, lui dis-je, tu m’as l’air d’un type de confiance, je vais donc te faire un aveu… il y a quelque temps, je suis devenu dingue d’une souris. Je sais que c’était une habituée de la taule. Je l’ai perdue de vue et je donnerais bien un biffeton au gnace qui me permettrait de la retrouver.

Je lui colle les photos sous le tarin. Il reluque consciencieusement.

— Jamais vue, dit-il.

— T’es sûr ? Regarde bien…

Il s’approche de l’enseigne au néon et prolonge son examen.

— Heu… non… Vous savez, toutes les belles pépées se ressemblent plus ou moins, à notre époque.

— Suppose qu’elle soit blonde ? lui dis-je.

Il fait un effort d’imagination, qui fait craquer son cerveau comme des brindilles foulées.

— Blonde, murmure-t-il… Blonde… Blonde, peut-être qu’en effet ça me dirait quelque chose… Attendez, oui, peut-être une girl qu’on aurait eue un jour ou deux… Mais je dois me gourer ; surtout que j’ai guère l’occasion de voir le personnel… Elle faisait partie de la troupe, votre gosse ?

Je ne réponds pas. Je réfléchis… Je réfléchis méthodiquement.

— Tiens, mon canard, lui fais-je en lui cloquant dix balles, paie-toi un grog à ma santé.

Je traverse la rue et j’entre dans un bar pour téléphoner au patron.

— Vous avez vu vos anges gardiens, boss ?

— Ils sont là, me dit-il. Ils affirment qu’Hélène sortait très peu. Elle ne s’est jamais rendue dans les studios discrets de la rue de Courcelles pendant toute la période de leur surveillance. Elle n’a jamais rencontré d’homme…

« Qu’en dites-vous ? »

— Je dis que ça marche…

Et, cette fois je suis sincère.

— À propos, fait-il, nous avons découvert en quelle langue s’exprimait Héléna dans la chambre…

— Vraiment ?

Je souris, parce que je mesure une fois de plus combien le patron est entêté.

— C’était en roumain, dit-il.

— Ah ! bon.

— Ça vous avance à quelque chose ?

— Un peu. Héléna était de quelle nationalité ?

— Anglaise, comme le professeur…

— C’est bizarre, vous ne trouvez pas ? À moins qu’elle n’ait été élevée en Roumanie…

— Rien de nouveau ?

— Si, l’ai retrouvé Schwartz.

Il pousse une exclamation. Faut croire qu’il est siphonné, car c’est le type qui sait conserver son sang-froid.

Du moins, j’ai des tuyaux précis sur sa personne : C’est le patron du « Champignon ».

— Beau… Alors, le programme ?

— Ne rien brusquer ; je vais agir en douce : il ne s’agit pas seulement d’arrêter un assassin, mais surtout de remettre la main sur le professeur. À propos, les plans sont-ils toujours dans le coffre ?

— Non, le coffre est vide.

— À tout à l’heure, chef.

— À tout à l’heure, San-Antonio.

Si je pouvais prévoir ce qui va m’arriver.