Pas pour cette fois
Il y a des individus qui sont marqués par le destin ; j’en connais un ; dans l’intimité je l’appelle Bibi. En ce monde, il existe des pégreleux qui sont nés pour balayer le trottoir, d’autres pour vendre des bananes et d’autres encore pour manipuler des sulfateuses à répétition. Cela fait une paie qu’en ce qui me concerne, partout où je passe, la nature se transforme en cimetière.
Je regarde avec apitoiement la pauvre gonfle qui vient de se faire descendre et je m’évanouis rapidos en direction de mon hôtel.
Parvenu dans ma piaule, je tire le verrou et je m’allonge sur le lit pour réfléchir convenablement.
Il serait p’t-être temps de vous tuyauter un brin sur l’affaire qui a motivé mon déplacement en Italie. Je suppose que vous êtes tous une bande de navetons menant une vie pénarde et que vous vous y connaissez en matière d’espionnage à peu près autant que moi en matière de cosmographie ; néanmoins, pour ceux qui n’auraient pas le cervelet en iridium, je dois donner quelques explications.
Les voilà :
Début juillet, une bande organisée a fauché à Paname des plans concernant une nouvelle utilisation de l’énergie atomique. L’affaire a été étouffée soigneusement, le Conseil des ministres ayant estimé que, depuis trop longtemps, les Français passent pour des clochettes. Néanmoins, elle est extrêmement grave.
Une rapide enquête des services spéciaux a prouvé que le coup avait été réalisé par une bande organisée, composée des plus baths spécimens de gangsters qui aient jamais tenu un feu en Europe et en Amérique. Il a été prouvé que ces oiseaux de malheur se sont taillés en Italie et que c’est à Rome qu’ils comptent mener les négociations avec des puissances étrangères pour vendre le produit de leur larcin.
Comme on estime que le gars San Antonio n’est pas trop maladroit, c’est moi qu’on a expédié de l’autre côté des Alpes pour essayer de limiter la casse.
Le gouvernement français est entré en contact avec le ministère des Affaires étrangères d’Italie, afin de solliciter son appui. Ce dernier a promis de me prêter un concours total. Mais, malgré cette promesse, je suis résolu à agir seul, because les événements ont toujours prouvé que si les Ritals sont fortiches pour la mandoline, il vaut mieux, dans les cas très graves, compter sur un vieux soutien-gorge que sur eux pour vous soutenir.
Mes chefs m’ont expliqué que la patrie comptait sur moi et ils m’ont servi un tas de boniments tricolores, mais à travers leur salade, j’ai compris que si je ne remportais pas la victoire, je n’aurais plus qu’à me présenter aux services de la voirie afin de me faire évacuer avec les ordures dans le coin où on fabrique l’engrais.
Jusqu’ici, j’ai fait une découverte : c’est que la bande que je pourchasse a été informée de ma présence en Italie et qu’elle a décidé de me faire délivrer un billet d’aller simple pour le Père-Lachaise.
L’enfant se présente mal, vous en convenez ? Je croyais arriver sur la pointe des pieds et voilà que je suis attendu par les artificiers. Heureusement que je dispose d’un répit. En effet, Tacaba, à l’heure actuelle, doit être persuadé que je suis en route pour le purgatoire. Il s’agit donc d’utiliser cette illusion provisoire.
J’attrape mon indicateur et je le compulse vivement. Je découvre qu’il y a un train pour Rome dans une heure, et je suis persuadé que mon tueur va le prendre.
Question de déduction et de psychologie. En effet, quel est le souci dominant d’un gars qui vient d’en étendre un autre ? Se planquer en mettant le plus grand nombre de kilomètres entre le cadavre et lui. Donc, ce bédouin se prépare à quitter Torino pour rejoindre sa bande à Rome.
Je peux me fier à mon raisonnement.
Le temps de réciter un quatrain et mes bagages à peine défaits sont prêts à reprendre la piste. J’explique à l’hôtelier qu’il y a trop de bestioles non homologuées sous le couvre-pied et que je préfère m’évacuer.
Il se met en colère et m’assure « qué lé signore il dité des choses qu’elles étaient honteuses ».
Je pousse la porte sans attendre la fin de ses litanies.
*
Rappelez-vous que je suis un drôle de futé. La preuve en est que malgré que tout soit complet dans le train de Rome, j’arrive à me faire cloquer une couchette. C’est pas que je tienne tellement à mes aises, mais je me dis que je serai moins en vue dans un wagon-lit que dans un compartiment ordinaire. Le préposé du guichet à qui je demande « una carrozza con letti per Roma » en me demandant si mon petit manuel d’italien parlé ne me fiche pas dedans, me répond que c’est complet. Aussitôt je me triture le caberlot pour savoir comment je vais expliquer à cet endoffé qu’il n’y a jamais eu un train complet pour San Antonio. Mais je le regarde et je constate illico que son angle facial ne me revient pas ; j’ai autant de chances de m’entendre avec cet appareil distributeur qu’une clef à molette avec une demi-livre de sel gros. Je n’insiste pas et m’adresse à un type qui, à en juger par ses galons, doit être général au Honduras ; ça tombe au petit poil parce qu’il s’agit du sous-chef de gare. Je lui montre un billet de cinq cents lires, et, comme par enchantement, il se met à parler français. J’en profite pour sortir ma carte et alors c’est du délire, ce brave homme enlève son képi, ce qui me permet de constater qu’il est chauve comme un hanneton. Je lui affirme que, s’il peut m’avoir une couchette, je lui offrirai, en échange, le billet que je tiens à la main, ma sympathie et un flacon de Lacpène pour faire repousser ses crins.
J’ajoute que dans le cas contraire, je vais commencer à tout casser et que les typhons de la Jamaïque sont de la gnognote comparés à mes colères.
Vous l’avez deviné, et du reste je vous l’ai dit plus haut, cinq minutes plus tard, je suis installé dans un wagon-couchettes.
Ce qui vous indique clairement qu’il ne faut jamais s’avouer vaincu et que les pauvres caves qui se fient aux affirmations d’un guichetier sont tout juste mûrs pour manger des nouilles à l’eau et payer leurs impôts.
J’ôte mes godasses et passe mes pantoufles de cuir à semelle de caoutchouc ; après quoi, je troque mon veston contre une veste d’intérieur, je dénoue ma cravate et je sonne le préposé au wagon. D’un coup d’œil, je l’évalue ; je décide que ce lapin-là ne doit pas être bête du tout : ses yeux pétillent de malice et de cupidité ; c’est un de ces piafs qui s’entendent comme pas un pour accrocher des pourboires. Je remarque que ses mains sont en forme de sébile.
— Écoute, Kiki, je lui dis, je suppose qu’étant donné tes fonctions, tu dois parler plusieurs langues ?
— J’en parle huit, déclare-t-il.
— C’est plus qu’il n’en faut pour mon usage personnel, mon joli. Du moment que tu t’exprimes en français, tu as droit à toute ma considération.
Il s’incline.
— Voilà ce que j’attends de toi, poursuis-je, j’ai aperçu sur le quai de départ un vieux copain à moi. Dans la bousculade, je l’ai perdu de vue. Tout ce que je sais, c’est qu’il se trouve dans ce toboggan et qu’il y a cinq cents lires pour ta pomme si tu me le trouves.
— À votre service.
— O.K.
Là-dessus, je lui fais le portrait parlé de Tacaba. Décidément, j’aurais dû me lancer dans la littérature, parce que pour les descriptions je suis un peu là. Si, avec le signalement que je donne du personnage, le garçon de train ne le retrouve pas, c’est que mon Mexicain est allé se cacher dans la chasse d’eau des lavatories. Je lui recommande de ne rien dire à Tacaba, parce que je veux lui faire comme qui dirait une petite surprise. Il s’éloigne et j’allume une cigarette turque. Vous dire de quelle façon je vais mener les opérations m’est impossible. Je n’ai pas d’idées préétablies et je m’en remets à mon sens inné de l’improvisation.
Cinq minutes plus tard, le garçon est de retour. À son petit sourire, je devine qu’il a gagné ses cinq cents lires et, en effet, il m’annonce que mon « ami » se trouve dans le wagon précédent : compartiment 9.
— Kiki, lui dis-je, tu es le type qui peut remplacer une demi-livre de beurre au pied levé. Voilà l’osier promis et j’y ajoute cent balles de mieux parce que tu vas me prêter ton képi pour un moment.
Il se décoiffe en se marrant parce qu’il devine que je vais jouer un bon tour à ce vieux copain de Tacaba. Et il ne se met pas trop le doigt dans l’œil, car pour un bon tour, ça va en être un, ça je peux vous le garantir sur papier timbré.
Son galure me va à ravir ; grâce à lui, je dois ressembler à un officier de la marine albanaise. Avec ma veste d’intérieur rouge, j’ai vraiment l’air d’avoir revêtu un uniforme.
Je crois que ça va boumer. Prestement, je change de wagon. Il n’y a personne en vue dans le couloir de Tacaba. Je tire mon manuel de ma poche et je cherche le mot contrôleur, en italien on dit controllore, ça n’a rien de duraille. Je remets mon opuscule en place, puis j’attrape mon Luger. C’est un bon copain qui ne rechigne jamais au boulot. Je m’arrête devant le compartiment n° 9, et je frappe deux petits coups secs, de la façon impérative des contrôleurs.
Derrière la porte, une voix de mêlé-cass grogne une question en américain.
— Controllore ! fais-je avec beaucoup d’assurance.
J’entends tirer la targette ; l’huis s’entrouvre. Je sens le regard charbonneux de Tacaba posé sur moi. Pour plus de sécurité, je me tiens de profil. Mis en confiance par ma tenue, cet enfant de salaud ouvre grand la porte. Il est en bras de chemise.
Je répète : Controllore ! d’un ton obstiné, qui est comme une invite. Docilement, Tacaba tourne les talons pour attraper sa veste pendue au fond du compartiment. Je ne perds pas une seconde, saisissant mon arme par le canon, je lui allonge un vieux coup de crosse sur le bocal. Le Mexicain pousse un petit gloussement, comme s’il avait avalé un noyau de cerise, et il répand ses cent vingt kilos sur le tapis ; je suis obligé de le tirer un peu par les pieds pour pouvoir refermer la porte.
Jusqu’ici ça va très bien… Pour moi tout au moins.
*
Dès que j’ai fouillé les fringues de mon tueur et que j’ai raflé son pistolet, j’entreprends de le ranimer. Ce n’est pas aisé, car je lui ai administré une bonne dose de somnifère. Il ne faut pas moins de trois verres d’eau violemment projetés sur son visage, pour qu’il se décide à ouvrir ses jolis yeux.
Aussitôt il me reconnaît, et il sursaute comme s’il venait de s’asseoir sur un nid de serpents minutes.
— San Antonio, balbutie-t-il.
— Soi-même, gros vilain. Ça t’en bouche un coin, hein ? Tu croyais bien m’avoir descendu, pauvre tordu. Mais je suis un gars aussi coriace que Raspoutine, alors tu te rends compte…
Il se met sur son séant.
— Ne t’excite pas, conseillé-je, regarde plutôt le joli joujou que je tiens dans la main. Avec celui-là, j’en ai calmé des plus turbulents que toi.
Mon discours n’a pas l’air de lui plaire. Il me roule des yeux tellement féroces qu’en comparaison ceux d’une gargouille moyenageuse paraîtraient aussi doux que les yeux d’une biche. Je me dis, in petto, que je dois tenir ce vilain-pas-beau à l’œil, si je ne veux pas qu’il me joue un des tours de fumier dont il a le secret.
— Tu vas rester assis contre la cloison, dis-je, et ne pas trop remuer. Si tu as le malheur de lever, fût-ce ton gros orteil gauche, je t’en mets une en plein bide, là où ça fait mal. Compris ? Et maintenant, c’est bien simple, tu vas tout bonnement me donner quelques tuyaux sur le gang qui t’emploie.
— Si tu comptes là-dessus, poulet, rétorque cette carne, t’as meilleur compte d’attendre que le pape fasse le Tour de France cycliste.
— Oh que non, ma douceur.
— Oh que si, répond-il en se marrant.
Franchement, je m’admire de pouvoir ainsi freiner mes réflexes. Si je m’écoutais, Tacaba ressemblerait déjà à un baril de rillettes. Je sens que la moutarde me monte au blair, et soyez-en sûrs, c’est de l’extra-forte. Je me force à sourire afin de le mettre en confiance, et, soudain, je lui décoche un coup de pied à la pointe du menton. Il retombe illico dans les pommes.
— Excuse-moi, lui dis-je, j’avais besoin de t’envoyer un moment dans les limbes pour avoir la liberté de mes mouvements.
Tout en parlant, je m’empare des sangles de sa valise et je les utilise pour lui lier les jambes et les mains. De cette façon, je vais pouvoir m’expliquer une bonne fois pour toutes avec ce gorille. Lorsque ce petit exercice est achevé, j’allume une cigarette — toujours une turque — et j’attends que mon compagnon récupère sa lucidité, ce qui ne tarde pas trop.
— Décidément, lui dis-je, t’as le dôme en Celluloïd. À te voir on a l’impression qu’il faudrait un tank pour te renverser et un coup de pantoufle te liquéfie.
Il ouvre grand son moulin à braire et se met à m’affranchir au sujet des sentiments qu’il nourrit à mon endroit. Il me fait des révélations sur mes origines et sur mon futur et trouve des noms jusqu’ici inconnus pour me qualifier. Je le laisse faire en tirant sur le bout de carton doré de ma cigarette. Lorsqu’un zèbre a trop de bile sur la patate, il faut le laisser se soulager si on veut lui tirer des paroles sensées par la suite. Au bout d’un quart d’heure, il a épuisé son vocabulaire et son imagination.
— Bon, lui fais-je posément, tu as terminé l’inventaire. Alors, c’est à moi de jouer. Tu sais, j’ai de la suite dans les idées. Maintenant, j’aurais mauvaise grâce à te cacher que je m’occupe de l’affaire des plans volés à Pantruche. Je suis assez bien rencardé sur le gang, puisque je sais que c’est de Rome qu’il compte négocier son vol. Je suppose qu’il a appris que j’étais sur la piste et qu’il t’a payé pour me liquider dès mon entrée en Italie ! Tu t’es gouré un brin et tu as démoli un pauvre gnaf de pickpocket qui avait volé ma gabardine. Ceci pour te rassurer quant à ton adresse au tir. Enfin, la nature humaine est égoïste et je préfère que ce soit un autre qui ait hérité ton pruneau, ça me permet de vivre et de pouvoir te proposer le marché suivant : tu réponds à mes questions et je te fais coffrer en gare de Gênes pour vol de mes bagages, ou tu la fermes et j’emploie les grands moyens. J’ajoute qu’au cas où ceux-ci ne réussiraient pas, je te ferais cueillir pour meurtre. Tu le vois, je suis bon zig et c’est le moment d’en profiter, crois-moi.
Je le soulève et le fais asseoir sur la couchette. Je m’assieds gentiment à ses côtés, quelqu’un qui nous verrait nous prendrait vraiment pour une paire de copains.
— Alors ?
Il tourne la tête vers moi, me regarde dans le blanc des yeux et me crache au visage.
Il n’en faut pas davantage pour me décider. Je lui attrape le petit doigt de la main gauche et je le lui casse en le renversant. Le Tacaba pousse un cri qui doit être perçu depuis le détroit de Béring.
Aussitôt, le garçon de wagon frappe à la porte, je lui ouvre en prenant soin de masquer Tacaba qui se tord de douleur sur sa couchette, je fais mine d’être ivre et j’entonne Le Grenadier des Flandres.
— Whisky ! hurlé-je.
Le zigoto s’incline et s’évacue. Il revient au bout d’un instant avec une bouteille carrée. J’y saute dessus comme un tigre du Bengale sur entrecôte panée. Je règle la note et me remets à chanter afin de couvrir les gémissements de ma victime. Aussitôt que nous sommes seuls, je débouche le flacon et m’en administre un grand coup. Je dois vous avouer que je suis un hypersensible, j’ai horreur de voir la souffrance d’autrui, surtout lorsque, par obligation, c’est moi qui l’ai provoquée.
— Tiens, lui dis-je, colle-t’en une rasade dans le cornet, ça te remontera le moral.
Cette fois, il ne fait plus le flambard. Comme il a les mains attachées, je desserre un peu la sangle afin de lui permettre de boire.
Vous allez voir qu’il faut mesurer ses largesses et qu’il n’est pas toujours indiqué de jouer les bons samaritains. Mon loustic prend le flacon et ajuste le goulot au trou qu’il a sous le nez. Je le regarde pinter avec satisfaction, je suis en train de me dire que le whisky va donner un coup de fouet à Tacaba et peut-être même le ramener à de meilleurs sentiments. J’ai raison en ce qui concerne la première supposition, mais pardon, je me trompe au sujet de la seconde. Voilà ce nénuphar de water-closet qui enlève brusquement la bouteille de ses lèvres et me la balancetique en pleine cafetière. Je la déguste sur le sommet du crâne et j’ai instantanément l’impression que l’Empire State Building vient de me choir sur la coupole. Je n’ai pas le temps de récupérer que le gorille est déjà sur moi. Il s’arrange de façon à me passer la sangle entravant ses poignets autour du cou. Et comment qu’il serre ! Ma langue jaillit de ma bouche et devient aussi longue que le tapis qu’on déploie dans l’allée centrale de Notre-Dame un jour de grand Te Deum. Je sens que mon sang se bloque dans ma tête. J’étouffe. Quelques secondes encore et je suis ratatiné. Il faudrait que je puisse réagir, je me le répète à toute volée ; mais comment ? Mes nerfs sont comme du chewing-gum mâché pendant trois mois, et mes muscles un peu moins durs que du coton hydrophile. Cette fois, je vais perdre connaissance, je m’efforce de tenir encore, je sens sur ma nuque le souffle haletant de Tacaba.
Sapristi ! Mes doigts viennent de se souvenir qu’ils tiennent un fameux Luger. Si je peux vivre encore quelques secondes, rien n’est perdu. Avec des mouvements fantomatiques, je passe ma main derrière mon dos. Je tâte maladroitement du bout de mon pistolet le bide de Tacaba et je presse la détente. Une bouffée d’air bondit dans ma gorge meurtrie, dans mes poumons vides. J’ai un étourdissement. Je fais quelques pas en avant et me cramponne au lavabo. Je suis haletant, des frissons me traversent l’échine, mes tempes battent violemment, des lueurs mauves et rouges passent dans mes yeux.
Dès que je peux me permettre un mouvement, je tourne le robinet et plonge ma tête dans la cuvette. Ouf ! Ce que cette flotte est fameuse malgré son goût de tuyauterie. Je récupère et me retourne pour voir où en est Tacaba.
Croyez-moi, il n’est pas brillant. Il est à genoux et se tient le ventre à deux mains. Son mufle est livide, de la sueur dégouline sur son front.
— Tu m’as eu, poulet, grommelle-t-il.
— Tu n’avais qu’à pas jouer au petit soldat, lui fais-je. Malgré que tu aies essayé de me buter à Turin, je t’avais fait une proposition honnête.
— J’ai mon taf.
— Et comment que tu l’as, mon pauvre vieux !
Il hoquète :
— San Antonio, mets-m’en une dans le citron, je souffre trop.
J’hésite, je ne sais si je dois accéder à sa requête.
— Écoute, lui dis-je, prenant une brusque décision ; je peux encore faire ça pour toi. Seulement, sois gentil et donne-moi une indication au sujet de la bande. Enfin quoi, ce gang-là, c’est pas ta patrie, c’est à cause de lui que tu calambutes en ce moment, l’oublie pas.
Un voile passe dans son regard.
— Tu peux… tu peux pas piger… j’ai le pépin pour elle…
— Qui, elle ?
— Else.
— Qui est Else ?
— Le n° 1… Elle… elle t’aura… tout San Antonio que tu es.
Soudain, son visage se crispe et ses yeux deviennent fixes. Pas besoin d’une seconde balle, Tacaba vient de lâcher la rampe. Son corps glisse le long de la couchette et sa tête sonne contre la cloison du compartiment.
Je rengaine mon feu, ramasse la bouteille de whisky et torche les quelques gouttes demeurant au fond du flacon. Après quoi je sors. Dans le couloir, je croise le garçon de train et je lui restitue son képi d’amiral.
— On a bien rigolé, lui dis-je.