DU NOUVEAU

Un pas sur la terrasse me fait me retourner. Une gentille petite bonne femme s’amène. Elle va franchir la zone découverte et se placer dans le champ visuel de l’observateur.

— Arrêtez ! je fais…

Elle stoppe.

— Vous êtes madame Pellegrini ?

— Oui…

— Ne venez pas jusqu’ici, quelqu’un surveille la maison avec une longue-vue. Restez où vous êtes !

J’allume une cigarette et je la rejoins nonchalamment.

— Ne bougez pas de l’entrée ; si les infirmiers rappliquent, dites-leur de ne pas pénétrer non plus sur la terrasse et de m’attendre, je reviens tout de suite…

Je descends l’escalier de pierre, je saute dans l’ascenseur et me voilà dans la rue.

J’ai pris des repères sérieux… La fenêtre par laquelle on m’observait est située au haut de l’immeuble voisin, entre une fenêtre pourvue d’un store tango, et une autre à rideaux rouges. Donc, impossible de me tromper.

Je me demande qui est l’observateur : peut-être tout simplement un maniaque qui s’amuse à faire le voyeur ? Mais je tiens à en avoir le cœur net.

Je traverse la rue. L’immeuble qui me préoccupe ressemble comme un frère à celui que je viens de quitter. Une concierge jeune et comestible frotte le hall avec un balai brosse, les mains protégées par des gants en caoutchouc…

— Pardon, madame, je fais avec mon sourire type Gregory Peck, pouvez-vous me donner la liste de vos locataires du septième ?

— Pour quoi faire ? s’inquiète-t-elle.

— Mettons que ce soit à seule fin de soulager une curiosité légale, je dis en produisant ma carte.

Elle n’est pas outre mesure épatée. Une carte de police n’a plus le même prestige, de nos jours, auprès de la jeunesse.

— Au septième, dit-elle, j’ai un professeur de natation qui est sur la plage en ce moment. Une institutrice en vacances et un appartement à louer…

— Répétez ! je fais… Un appartement à louer ! Voilà plusieurs lustres que je n’ai pas entendu prononcer une pareille phrase par une concierge !

Elle hausse les épaules.

— Il est à louer, c’est façon de parler, en vérité on ne peut pas le louer pour le moment parce que le type qui avait ça est mort et que les héritiers se bouffent les foies…

Je réfléchis.

— C’est bien celui du milieu, n’est-ce pas ?

— Oui…

— Vous en avez la clé.

— Non…

— Ça ne fait rien… Personne ne s’y trouve présentement ?

— Mais non, puisque je vous dis que…

— Ça colle, merci…

Je m’engage dans le hall.

— Ben, où allez-vous ? s’écrie la souris.

Je ne peux pas lui dire pour le moment que je m’intéresse aux appartements inoccupés lorsque quelqu’un les utilise comme observatoire.

— Au ciel, je réponds, je monte toujours jusqu’à votre septième, ça me rapprochera un brin !

Elle oublie d’en refermer la bouche.

Une fois devant la lourde, je prête l’oreille. Aucun bruit !

Un doute m’envahit.

Et si je m’étais gouré ? S’il s’agissait seulement d’un objet brillant oublié dans l’angle de la croisée ?

Après tout, peu importe.

J’appuie un petit coup bref sur la sonnette.

Le silence toujours…

Pas la peine d’hésiter, pour la seconde fois, j’ai recours à mon outil de précision.

La serrure n’est pas plus récalcitrante que l’autre. Je pénètre dans le vestibule où flotte une odeur mièvre de renfermé.

Un rapide calcul me fait deviner la pièce où la personne à longue-vue se tient.

J’en tourne le loquet et je me jette de côté.

Mais si je croyais dérouiller une nuée de valdas, je me suis singulièrement gouré car, là encore, c’est le silence.

Un silence à couper au couteau…

Je risque un œil prudent. La pièce est vide… J’entre. Je vais à la croisée. Je soulève un coin du rideau et, effectivement, j’aperçois très distinctement la terrasse où s’érige la hutte de feu la môme Blavette.

Je bigle autour de moi ; rien ne permet de déceler le séjour récent de quelqu’un… Si pourtant ; une odeur… Un parfum assez âcre que j’ai déjà reniflé quelque part. De cela, je suis absolument certain. Voyez-vous, je possède, entre autres dons naturels, la mémoire du nez… Oui, cette odeur âcre, ce parfum de tubéreuse, a déjà chatouillé mon renifleur… Mais où ? Mais quand ?

Je trouverai bien.

Je respire profondément pour bien enregistrer la sensation délicate qu’il me procure. Puis je visite le reste de l’appartement. Dans la cuisine, il y a une porte, non fermée au verrou, qui accède à l’escalier de service. C’est par là que mon voyeur s’est débiné en entendant mon coup de sonnette. J’ai agi comme une portion de courge ; j’ai eu tort de sacrifier aux usages… Si je me mets à devenir mondain, à cette heure !

Je bondis sur le palier afin de rebicher l’ascenseur. Avec un brin de chance, la pipelette aura peut-être vu sortir le mystérieux renoucheur… Et, comme il aura été obligé de se tasser les sept étages, il me sera peut-être possible de le rattraper. Là encore, je dois déchanter. La jeune concierge est là, regardant à l’intérieur de l’appartement avec curiosité…

Si elle est là, elle n’a pu voir sortir la personne qui m’intéresse.

— Où donne la sortie de service ? je demande.

— Dans l’impasse d’à côté…

Je bondis dans l’ascenseur sans m’occuper de ses glapissements.

Une fois dehors, je repère l’impasse dont a parlé la cerbère. Evidemment, il n’y a personne.

Je l’ai dans le baigneur !

Je pousse un juron si puissant que douze personnes se retournent.

Enfin, je vais toujours retourner à mes macchabées !

Les vrais et les faux !