— Avez-vous un petit coin tout ce qu’il y a de peinard qui puisse servir de cachot ? demandé-je à Stéphane.

Il se gratte le tarin.

— Y a la cave ?

— Gigo ! Ça ira.

Je me tourne vers les copains.

— Surveillez la poulette, je préviens tout de suite…

Je fais signe à Stéphane de me suivre, et je lui demande de me conduire auprès de Gretta.

La poulette pousse des gloussements d’allégresse en m’apercevant. Elle se jette dans mes bras et me noue les siens autour du cou.

— San-Antonio, chéri ! roucoule-t-elle.

Je lui claque une bonne main d’homme sur le croupion.

— Pas le temps de pousser la romance, lui dis-je, ça urge, cocotte. J’ai besoin de vous.

Je l’affranchis sur ce qui vient de se passer.

— Il faut absolument que nous sachions où se trouve actuellement le fameux matériel, mon âme, or, cette teigne ne veut rien savoir pour l’ouvrir. Notre dernière carte, c’est vous qui allez la jouer. En somme, les Frizous se méfiaient de vous, mais ils n’avaient aucun doute sérieux, sans quoi ils n’auraient pas manqué de vous passer au presse-purée. Nous allons vous arranger un peu de façon à ce que vous ayez l’air d’avoir été malmenée. Nous vous bouclerons dans la cave où nous amènerons Gertrude. Vous lui expliquerez que vous étiez dans la voiture d’hier, que je vous ai kidnappée, que nous vous avons interrogée, mais que vous n’avez absolument rien dit. Si vous êtes adroite, vous devez pouvoir tirer un renseignement de cette houri ! Surtout, prêchez-lui le courage, gonflez-la de manière à ce qu’elle vous prenne vraiment pour une grande patriote…

— D’accord, fait-elle.

— Vous vous sentez vraiment capable de jouer le jeu ?

— Vous verrez, répond-elle simplement.

— O.K., vous êtes un drôle de petit lot, mon cœur…

— Vous tenez à cette jupe ?

— Pas plus que ça.

— Alors j’ai moins de scrupules, je fais, en déchirant le vêtement de bas en haut.

Je procède de même pour le corsage, j’arrache la combinaison et une bride du soutien-gorge. Je lui ébouriffe les cheveux de telle manière qu’Antonio lui-même ne s’y retrouverait plus pour la coiffer.

Ce qu’elle est excitante, ainsi attifée, avec un sein qui prend l’air et son minois en bataille.

Stéphane en tire une langue aussi longue que les pans d’un habit.

— Hein ! je lui fais, ça flanquerait des idées à une statue équestre…

Il n’est sûrement pas d’un avis contraire.

— Excusez, dis-je, mais c’est nécessaire, pour la chose de la vraisemblance.

Je donne un petit coup sec sur l’arête de son nez ; elle se recule en poussant un petit cri. Le sang coule de ses narines.

— Étendez-vous ça sur les joues, ça impressionne, lui conseillé-je. Vous n’êtes pas hémophile, au moins ?

Et je fais une bise à la pointe du sein qui me montre du doigt.

* * *

Il fait un beau jour bien doré, bien bleu, avec des petits oiseaux qui la ramènent et des fleurs qui sont en plein accord avec le printemps.

La radio d’État annonce que deux chasseurs allemands ont abattu les trois quarts des effectifs de la RAF.

Nous en sommes à notre sixième bouteille de blanc.

Voilà deux bonnes heures que les souris sont ensemble. J’espère que la petite gosse Gretta sera champion et que nous aurons enfin le fameux tuyau.

— On y va ? suggère Stéphane, lequel m’a l’air d’un beau frénétique.

— Minute ! je lui fais, faut laisser à la petite le temps de vendre sa salade.

On se boit encore un « pot » d’un blanquet fruité et on va chercher Gertrude.

— Continuez l’interrogatoire, ordonné-je à Jules.

Je m’éclipse sur la pointe des pieds afin de rejoindre Gretta.

— Alors ? je lui demande.

Elle a un sourire grand comme ça.

— J’ai le renseignement.

— Toi, alors, je murmure en lui caressant son nichon vadrouilleur, tu feras ton chemin si les petits cochons te mangent pas. Comment t’y es-tu prise ?

— Comme vous m’avez dit…

« Elle m’a alors assurée que, même si elle parlait, vous ne pourriez pas faire grand-chose car le chargement en question est expédié par péniche et toutes les écluses sont gardées militairement, le long du parcours. La péniche qui transporte le matériel est escortée par deux petites canonnières et elle a à son bord cinquante hommes armés. Un bombardement serait inefficace car c’est une péniche spéciale qui véhicule ça. En cas d’alerte, on largue son chargement au fond du cours d’eau.

Je fais la grimace.

— Ils ont tout prévu, ces salopards. Bon, j’aviserai.

Je la prends contre moi.

— Tu es une souris comme on n’en trouve plus que dans les concours, tu sais…

On passe un petit moment sur la paille humide.

Décidément nous sommes voués aux batifolages sur la dure, Gretta et moi. Si on remet ça après la guerre, je lui offrirai une séance dans un pageot capitonné.

Je retourne à la salle commune.

— Jules, dis-je, finissons-en.

Je sors mon revolver.

— Gertrude Kurt, j’ai reçu des services secrets alliés l’ordre de vous exécuter. Je crois le moment venu d’accomplir ma mission…

Je lui file une dragée dans le bocal.

Elle a un soubresaut et elle pique du nez en avant.

— Voilà, fais-je, de la bonne besogne. Stéphane, si vous pouvez envoyer un message à Parkings, dites-lui que ma mission est remplie. Mais je ne rentre pas tout de suite, car je suis sur une autre affaire…

« Et cette autre affaire est certainement beaucoup plus importante que celle que je viens de régler.

Je regarde mes compagnons.

— Le Rhône n’est pas navigable, n’est-ce pas ?

— Non, la Saône seulement.

— Mettez-vous tous en chasse, les amis, je veux qu’on repère dans les plus brefs délais un convoi composé d’une péniche escortée de deux canonnières légères.

— Facile, dit Stéphane, nous allons demander à nos correspondants riverains s’ils ont remarqué ce que vous dites.

— Pensez-vous que le dépistage se fasse rapidement ?

— Nous avons une réunion générale ce matin. Reposez-vous, à midi j’espère pouvoir vous donner le renseignement…

* * *

J’en écrase comme un Turc lorsque je me sens secoué par une poigne ferme. Mon premier réflexe est pour sauter sur mon pétard, mais je reconnais Stéphane.

— Alors, me dit-il, on joue à la Belle au bois dormant ?

— C’est un sport rudement reposant, je fais en bâillant comme une vieille paire de godasses.

Je le regarde, ses yeux brillent d’un vif éclat.

— Du nouveau ?

— Oui.

— Allez, je donne ma langue au chat, déballez la valise…

— Nous savons où est le fameux convoi, nous avons eu du mal à le repérer. Aucun riverain ne l’avait aperçu… et pour cause : il traversait Lyon.

— Ça alors…

— Il se dirige vers l’île Barbe. Il va très doucement.

— Qu’est-ce que c’est, l’île Barbe ?

— La première écluse…

Je le regarde.

— Et alors ?

— Si elle sautait, la péniche serait paralysée pendant un bout de temps et nous aurions la possibilité de nous remuer, vous ne pensez pas, commissaire ?

Ce qu’il dit n’est pas gland du tout.

— Elle est bien gardée, cette écluse ?

Il a un geste éloquent.

— Voilà le hic ! Il paraît, aux dires d’un de nos camarades qui demeure dans le secteur, que le nombre d’hommes gardant ce point stratégique est extrêmement important. La seule solution, c’est de le faire bombarder par l’aviation…

Je secoue la tranche.

— Ça leur ferait comprendre que nous sommes au courant, et ils prendraient une fois de plus de nouvelles dispositions, nous n’allons pas jouer à cache-cache avec cette sacrée fusée pendant cent sept ans ! Non, je crois bien qu’il me vient une idée. Seulement, la partie est la plus téméraire de toutes celles que j’aurais jouées jusqu’ici. Elle nécessite en tout cas un plan d’action drôlement soi-soi.

« D’après les estimations de vos collaborateurs, il faut combien de temps pour atteindre l’écluse ?

Il réfléchit.

— Il est près de sept heures, la navigation fluviale est interrompue… Elle y sera… demain matin vers les dix heures.

— Nous agirons donc à neuf heures. Pouvez-vous, d’ici-là, me trouver un camion de fort tonnage, une demi-douzaine de compagnons déguisés en Allemands, et un faussaire habile capable de rédiger de faux ordres de mission en allemand ?

— On va s’y mettre illico. Le camion, je l’ai… Les uniformes ne sont pas difficiles à trouver.

— Il faut une tenue d’officier supérieur à un type parlant couramment l’allemand. C’est dur à dégauchir, ça ?

— Barthélemy fera l’affaire.

— Il est gonflé pour les coups durs ?

— Lui ! s’exclame Stéphane, l’essayer c’est l’adopter ! Le plus difficile sera de lui trouver des fringues à sa taille, enfin on va tâcher de se débrouiller. Il vous fera également les faux papiers, vous n’aurez qu’à lui indiquer les textes, il a un outillage complet : tampons, papiers à en-tête, cachets, etc.

— Très bien.

Stéphane va pour s’éloigner.

— Attendez…

— Oui ?

— Vous pouvez avoir du plastic ?

Il rigole.

— Demandez plutôt à un marchand de marrons s’il peut avoir des marrons !

— Je veux dire une quantité suffisante pour faire sauter l’écluse ?

— J’en ai assez pour faire sauter la Chancellerie de Berlin, soyez sans inquiétude.

Il se gratte le crâne.

— Ce qui me chiffonne, dans ce que vous m’avez demandé, ce sont les zouaves parlant allemand.

Depuis un instant, Gretta est entrée dans la pièce et se tient accoudée à la commode.

— Vous cherchez des camarades parlant allemand ? demande-t-elle, je puis vous en fournir, moi. Tous les gens de mon réseau, ou presque, parlent allemand.

Je sursaute.

— Mais c’est une idée, ça, Gretta d’amour. Vous avez la possibilité de les contacter ?

— Par l’intermédiaire de mon correspondant, oui. Je lui dirai de se mettre en rapport avec vous.

— Allez-y.

L’enfant se présente bien, mais j’ai dans l’idée que les heures qui vont suivre seront fraîches et joyeuses.