Tout se passe bien jusqu’aux environs de Gand. Là, nous tombons sur un barrage sérieux. L’officier qui dirige les opérations épluche nos feuilles de route ; heureusement qu’elles sont en règle. Il demande à voir le cercueil.

Je vous jure que j’ai le trouillomètre à zéro. Tandis que je vais glisser la boîte sur les petits rails de la voiture, je me dis que si cette carne de Thérèse a réussi à détendre un tant soit peu ses liens, elle va remuer et tout sera foutu.

L’officier regarde le cercueil.

— Ouvrez ! ordonne-t-il.

Un paquet de coton me bloque la glotte.

Je prends un air consterné.

— Impossible, fais-je. Voyez, monsieur l’officier, les scellés y sont. Si jamais je les fais sauter j’aurai des histoires terribles avec les familles. Elles sont à cheval sur les principes, les familles.

Il hausse les épaules de l’air de dire que les familles mécontentes, c’est le plus négligeable de ses soucis.

— Et si l’homme qui est là-dedans n’est pas mort ? Si c’est un terroriste que vous cachez ?

Je me force à rire.

— Monsieur l’officier plaisante ; j’ai moi-même procédé à la mise en bière.

Tant de naïveté le déconcerte.

— C’est bon, fait-il.

Au moment où je m’apprête à repousser le cercueil à l’intérieur de la voiture, une traction avant noire stoppe à notre hauteur. Elle est conduite par un seul homme. Et cet homme ! (Ma peau rétrécit comme une chemise bon marché dans la lessive). Cet homme n’est autre qu’Ulrich, le chef de la Gestapo de La Panne.

J’enfonce à fond ma bâche sur mes yeux et je me contracte un peu la bouillotte dans l’espoir insensé de modifier mon physique de théâtre.

Il parlemente avec l’officier. Celui-ci lui fait un salut militaire comme pour une grande personne et devient obséquieux. C’est fou ce que ces militaires ont peur de la Gesta. C’est, je crois bien, à eux qu’elle flanque le plus les jetons, la Gestapo.

Ulrich descend de sa voiture. Lui aussi considère le cercueil d’un air soupçonneux. Sapristi, quoi, elle n’a pourtant rien de sensationnel, cette caisse en bois. Ils la biglent comme s’il s’agissait du tombeau de Napoléon.

Soudain Ulrich extrait un revolver de sa poche et, posément, il tire quatre balles dans le cercueil, dans le sens de la longueur, et à dix centimètres d’intervalle.

— À toutes fins utiles, dit-il à mon intention.

Il ne m’accorde qu’un bref regard. Je dois avoir considérablement modifié mon aspect, car il ne me reconnaît pas. Il est vrai qu’il m’a très peu vu.

— Vous pouvez continuer, me dit avec raideur l’officier, lequel, je l’avoue, semble réprouver ces manières.

Je ne me le fais pas dire deux fois et j’escalade mon siège rapidos.

En m’éloignant, je regarde le groupe sur la route dans mon rétroviseur. Ulrich et l’officier discutent le bout de gras. M’est avis qu’ils échangent des propos aigres-doux. Les méthodes de la Gestapo doivent quelque peu déconcerter le militaire. Il est vrai qu’il a dû en voir bien d’autres !

Je jette un coup d’œil à Laura : elle est verte comme une feuille de radis. On dirait qu’elle va défaillir.

Moi-même j’éprouve comme une nausée à la pensée de la môme Thérèse perforée dans son cercueil.

Néanmoins je remonte Laura :

— C’est moche, hein ? je lui fais. Enfin elle n’a que ce qu’elle méritait…

Je n’ai pas fait quatre bornes que la voiture d’Ulrich jaillit dans mon rétroviseur.

Elle nous rattrape rapidement, mais, au lieu de nous doubler, la voici qui ralentit.

Oh là… Qu’est-ce à dire ? Cette espèce de musico de la torture se serait-il ravisé ? M’aurait-il identifié après coup comme cela se produit quelquefois ?

Je le surveille autant que je le puis dans le disque de glace.

Sa main gauche passe la portière. Un truc noir la termine. Et le truc noir se met à cracher du plomb dans mes pneus. J’éclate, évidemment. Il me faut une bonne dose d’habileté pour éviter que nous capotions, Laura, le cadavre de Thérèse et moi !

Quelques zigzags et je parviens à maîtriser mon corbillard.

— Baisse-toi, dis-je à Laura et gare aux taches, fillette !

Je m’empare moi aussi de mon pétard afin de pouvoir discuter d’égal à égal avec Ulrich et je me glisse hors de la bagnole noire.

— Rendez-vous ! ordonne l’Allemand.

— Des clous !

— Rendez-vous, répète-t-il. Je sais que vous êtes des terroristes !

— Tiens, c’est votre petit doigt qui vous l’a dit ?

— Du sang coule de votre fourgon, donc c’était un être vivant qui se trouvait dans le cercueil!

Il est fortiche, le mec.

Cette sacrée Thérèse nous fera endéver jusqu’au bout. Je regrette de ne pas l’avoir liquidée plus tôt.

En regardant la route que nous venons de suivre, j’aperçois effectivement une traînée sanglante.

L’instant est critique. Les premières maisons de Gand sont à moins de cent mètres ! Sûr et certain que quelque pied nickelé va alerter les autorités et que je serai bientôt obligé de soutenir un siège dans mon garde-manger à macchabs. Sans compter que des voitures allemandes peuvent surgir d’une seconde à l’autre.

Il convient de presser le mouvement.

Je quitte ma veste, la roule en boule et la balance à droite de la voiture. Aussitôt un jet de balles part dans cette direction. Pendant que l’Allemand mord à ma feinte, je descends de l’auto et je rampe sur la gauche. Lorsque j’arrive à la hauteur du dernier pneu je me mets à genoux. J’attends, l’arme prête sur mon bras replié en support. Ulrich finira bien par se découvrir.

Ça ne manque pas. Il se découvre fort peu du reste, mais c’est suffisant pour me permettre de risquer le gros coup. Je vois sa main au revolver qui dépasse le capot de sa traction. Je vise et : vlan ! je la lui fracasse.

Il lâche son arquebuse et se roule, en hurlant, dans la poussière.

— Hello, Ulrich, je lui fais, je t’avais bien dit qu’on se retrouverait.

— San-Antonio, balbutie-t-il.

— Soi-même. Tu sais bien que je suis un mec dans le format de Fantômas. Pour me posséder, il faut se lever de bonne heure.

Il fait une bizarre grimace.

— Vous êtes le plus fort, admet-il. Je suppose que vous allez m’abattre ?

— Penses-tu !

J’appelle Laura. La pauvrette est plus morte que vive.

— Arrive, chou. Je te présente M. Ulrich, un caïd de la Gestapo.

« Tu sais conduire ?

Elle me fait signe que oui.

— Alors prends le volant ; moi je m’installe derrière avec Monsieur, lequel a la bonté de nous prêter sa voiture.

En route !

— Où allons-nous ? questionne ma victime.

— À Londres.

— Vous dites ?

— Londres, London, quoi ! Un avion doit nous prendre ce soir ; j’espère — pour votre santé — qu’il y aura une place pour vous à bord. Ça me ferait plaisir d’apporter un petit souvenir de Belgique à mes amis anglais.