Je suis verni
Il y a du flottement chez l’adversaire. Du reste, il ne cherche pas à dissimuler son désarroi.
Martinet — je continue à lui donner le nom qu’il a usurpé à mon malheureux collègue — prend la direction des opérations.
— Ne tirez plus ! ordonne-t-il, ou sinon, ce sera plein de flics d’ici dix minutes. Du reste, il faut se tailler car le quartier doit être en état d’alerte.
— Que faire ? questionne Elsa.
— Fuir par la sortie secrète. Mais auparavant, je veux liquider ce sale poulet. Allez me chercher un bidon d’essence à la cuisine.
Aïe !
S’ils emploient les grands moyens, je ne m’en tirerai pas. Le feu m’a toujours effrayé. J’ai vu un type flamber comme une torche dans un accident de voiture, et j’en ai gardé un très mauvais souvenir. Que faire ?
Peut-être que mes réflexes vont continuer à fonctionner.
En effet, j’arrache le cordon des rideaux et j’y fais un nœud coulant. Cela me donne une sorte de petit lasso dont je me sers pour attraper un bronze d’art sur la cheminée proche. Un type se précipite pour couper mon lasso, mais j’en profite pour lui expédier du plomb dans la poitrine, et il se demande s’il doit mourir ou accomplir son boulot. Il se décide pour la première solution.
Les autres se tiennent cois.
D’une secousse, je tire à moi le bronze d’art. Il représente une Diane chasseresse, tout ce qu’il y a de bien moulée. Si j’avais le temps, je l’examinerais en détail, mais je suis pressé, je crois vous l’avoir fait comprendre — aussi je me hâte d’exécuter mon plan. Grâce à mon stylo à bille, j’écris un court message sur mon mouchoir. J’attache le mouchoir autour du cou de la Diane, because je me propose de l’envoyer en course et je ne veux pas qu’elle s’enrhume. Puis je calcule une trajectoire extraordinaire et, de toutes mes forces, je balance le bronze à travers la pièce, en direction de la croisée.
Boum ! Servez chaud !
La Diane brise la vitre et va faire une balade dans la nature. Bon voyage !
— Tirons-nous, clame Martinet qui a compris l’astuce.
Et il vide son chargeur dans ma direction. J’attends, accroupi derrière le corps de Tom, que ses caprices soient passés. Puis je le vise à mon tour et je lui démontre qu’une seule balle, bien employée, est préférable à tout le stock de la manufacture d’armes de Saint-Étienne, si celui-ci est utilisé en dépit du bon sens.
Décidément, la journée a été bonne et j’ai bien travaillé pour mon copain de la morgue. S’il touche une prime par tête de pipe, il va pouvoir s’acheter un poste de TSF à tempérament. En somme, il ne reste plus que trois gnafs et Elsa en face de moi. Encore, parmi les trois hommes, y en a-t-il un qui ne doit pas pouvoir lire le tableau des lettres chez l’oculiste.
— Passez-moi l’essence ! ordonne Elsa.
— Décidément, lui fais-je, tu as des dispositions pour l’incendie.
Elle me répond par un flot d’injures et par un jet d’essence. La garce a tout prévu et a ramené ce dangereux liquide dans un seau. Je me déshabille en un tour de main, et, pendant qu’elle gratte une allumette, je roule mes fringues dans le tapis. Puis, je me recule dans la portion de parquet non arrosé.
Les belles flammes jaillissent. On dirait un feu de joie. Je risque le paquet et je saute par-dessus le piano.
Heureusement, la pièce est vide. Les survivants se ruent dans le couloir et ne s’occupent plus de moi. En slip et le pistolet au poing, je les prends en chasse. Ils atteignent la cuisine, Elsa ouvre un placard, tire un levier et, comme dans les romans policiers, le placard glisse en arrière, dégageant une étroite ouverture dans laquelle mes lascars s’introduisent. Ils sont en file indienne dans un escalier étroit. D’en haut, je les domine tous.
— Haut les mains ! Bande de ceci et cela !
Comme ils hésitent, je tire dans les pattes du métèque qui voulait jouer à la guerre avec moi sur la falaise. Aussitôt les autres obtempèrent et lèvent leurs jolies mains.
— Et maintenant, ne bougez plus, leur conseillé-je.
*
Ça ne dure pas trop longtemps. Bientôt les flics s’amènent avec du matériel de camping. La statue de bronze est tombée au milieu de la chaussée. Les badauds ont trouvé mon S.O.S. et ont téléphoné à Police-Secours. Je peux laisser tomber la pose… Je commençais à prendre des fourmis dans l’épaule, à force de brandir le soufflant du gros Tom. Pendant qu’on embarque ces jolis cocos et que les pompelards arrivent pour éteindre le début d’incendie, je demande à un agent de me prêter sa pèlerine. Je suis tellement bien constitué que si je sortais en slip dans la rue la circulation serait aussitôt interrompue.
Ainsi accoutré, je me fais conduire à la Sûreté où je retrouve Favelli et Baudron.
Ces bons amis se rongeaient les ongles en se demandant ce que j’étais devenu. Pour énième fois, je suis obligé de relater mes aventures. Ils m’écoutent religieusement. À leurs yeux, le père Noël est un petit rigolo, comparé à San Antonio.
Le chef de la Sûreté fait son entrée. Quelqu’un l’a déjà prévenu de mon retour et il n’a pas eu la patience de m’envoyer chercher. Il appelle tous ses sous-officiers et leur dit de me regarder et d’aller chanter mes louanges à travers l’univers. En attendant, il m’invite à un gueuleton terrible pour fêter, ce soir, mon éclatante victoire.
Je lui dis que c’est d’accord, à la condition qu’il me trouve des vêtements. Je lui fais remarquer qu’à la cadence de deux complets par jour, il faudra que le ministère de l’Intérieur vote des crédits spéciaux pour m’habiller.
Tout le monde est de bonne humeur et me tape sur l’épaule.
Je savoure les congratulations avec la nonchalance d’un gladiateur qui viendrait de nouer les pattes à une douzaine de lions affamés.
Il faut reconnaître qu’en trois jours, j’ai fourni un fameux travail.
Mais maintenant je vais me faire octroyer quelques jours de vacances.