Dans le style de Roméo
Le temps que je passe à roupiller, je ne saurais vous le préciser. Lorsque je me réveille, je suis en sueur et j’ai le souffle brûlant ; c’est que l’air n’est pas des plus abondants, ni des plus salubres dans ce placard à la gomme. Je n’ose faire un mouvement car j’ignore si la cabine est habitée. Je déblaie doucement le linge accumulé contre la porte et je pose mon oreille contre le bois. Je n’entends rien, sinon le bruit des vagues et le ronron du navire. Qu’est-ce que je risque ? J’assujettis le petit pétard dans ma main et je pousse la porte. La cabine est vide. Je regarde la pendulette scellée à la cloison ; elle marque dix heures ; le hublot est noir et je me replonge dans le meuble, l’unique solution étant d’attendre les événements.
Les minutes passent, puis les quarts d’heure, puis les heures. Il ne doit pas être loin de minuit quand j’entends s’ouvrir la porte de la cabine. Deux personnes entrent. J’ouvre tout grands mes plats à barbe pour ne rien perdre de leur discussion. Je reconnais les voix d’Else et de Bruno. Et voilà ce que ça donne :
— Fatiguée ? demande le séducteur maison.
— Énervée plutôt.
Il doit s’approcher d’elle et essayer de lui faire une démonstration de mimis mouillés car je l’entends qui proteste.
— Tiens-toi tranquille, Bruno. Que diable, j’ai autre chose en tête.
Lui se met à discuter en italomuche, il roucoule comme un vieux ballot de pigeon, mais ça ne rend pas.
— Tais-toi donc, trépigne-t-elle. Tu ne comprends donc pas qu’il y a un temps pour tout ? En ce moment, je suis préoccupée, tiens, verse-moi un doigt de cognac et va te coucher.
Un petit frémissement me parcourt l’échine. Si le beau ténébreux s’aperçoit que la bouteille a disparu, ne va-t-il pas flairer quelque chose de louche ?
— Dis donc, ta cave est à sec, remarque-t-il.
— Ce sacré Jim doit s’expliquer avec mes flacons, murmure Else. Demain je lui en toucherai deux mots.
— Veux-tu que je le sonne ?
— Pas la peine, verse-moi un verre d’eau. Je n’ai pas non plus l’esprit porté sur des soucis domestiques.
J’entends couler de la flotte dans un verre.
— Vois-tu, poursuit la blonde, ce qui a gâché ma journée, c’est de n’avoir pu crever les yeux à ce flic.
Je vous jure que, dans son placard, le flic en question fait une drôle de trompette.
— Bast, raisonne l’autre, les poissons l’ont fait pour toi.
— Tu es certain qu’il s’est noyé ?
Il émet un ricanement malsain.
— Je l’ai vu, de mes yeux, couler à pic. Je ne sais comment il a fait pour se détacher du mât, mais j’ai idée qu’en plongeant il s’est empêtré dans ses poucettes et, de ce fait, n’a pu nager. Et puis, comme prime, je lui ai mis quelques balles dans le corps. Ne t’inquiète pas de lui, on peut en parler à l’imparfait.
Elle marche dans l’étroite cabine.
— O.K., fait-elle. Maintenant, il faut liquider la grosse question au plus vite. Je ne suis pas tranquille. Si le gouvernement a envoyé un as comme San Antonio à nos trousses, c’est qu’il est fermement décidé à récupérer les plans. D’autre part, avant que nous interceptions le flic, ce salaud a dû se mettre en rapport avec les services secrets italiens et donner tous les détails qu’il possédait ; or, j’ai dans l’idée qu’il en savait pas mal sur notre compte. Tout ça n’est pas fameux, Bruno. Si je m’écoutais, je ferais mettre le cap sur Le Caire. En Égypte, nous serions plus à notre aise.
— Tu n’y penses pas, se récrie-t-il. Tout est au point ici.
Il toussote.
— Pas de danger, reprend cette enflure avec suffisance, tu as vu ce que j’en fais des as de la police ? Crois-moi, nous avons tout le temps.
— Oui, mais il y a un autre contretemps.
— Et lequel ?
— Tu le sais bien, le code.
— Bast, nous finirons certainement par lui mettre la main dessus.
À la façon dont il parle, ce gars-là doit avoir autre chose en tête que la question des plans. Et je crois comprendre quoi. Il est latin, beau gosse et, de ce fait, porté sur la bagatelle. Je suppose qu’il doit reluquer ferme la carrosserie de sa compagne et qu’il donnerait tous les plans du monde pour la prendre dans ses bras et lui expliquer comment don Juan s’y prenait avec les souris.
La preuve que je ne me trompe pas, c’est que j’entends un bruit de baiser. Ce serait tout de même marrant s’ils jouaient au cousin et à la cousine au-dessus de moi.
Mais, décidément, Else n’est pas en forme ce soir.
— Allez, file, ordonne-t-elle durement à Bruno.
Une pépée me parlerait sur ce ton, moi, je commencerais par la poser à plat ventre sur mes genoux et je lui administrerais une fessée telle qu’elle ne pourrait pas s’asseoir sur autre chose que du duvet pendant douze ans. Mais ce Bruno est une pauvre cloche et s’il croit savoir s’y prendre avec le beau sexe, il se goure vilain.
En matière de ce que vous pensez, avoir une belle gueugueule, ne suffit pas ; un beau gosse sans volonté n’a jamais eu plus de succès auprès d’une femme que le génie de la Bastille. Et si je vous le dis, c’est que je le sais.
Bruno marmonne quelques paroles que je perçois mal et s’éloigne. J’entends claquer la porte. Else donne un tour de clef à la serrure.
Maintenant, nous sommes entre nous.
*
Je retiens mon souffle et maîtrise mes nerfs. Si par hasard la belle gosse s’apercevait de ma présence ici, elle me jouerait une blague carabinée, et ce lui serait d’autant plus aisé que la position dans laquelle je me trouve m’ôte toutes possibilités d’exécuter un numéro à grand spectacle.
Elle se dévêt, j’écoute le bruit soyeux de ses dessous qu’elle balanstique sur un siège, ça me contrarie un peu parce que, on a beau être l’ennemi de ce petit lot, il est impossible d’oublier son académie, et du point de vue physique, cette fille-là ferait la pige à toutes les stars d’Hollywood. Je m’efforce de penser à autre chose. Ainsi, je me mets à analyser la conversation qu’a eue le couple tout à l’heure. Je m’efforce d’en tirer des conclusions, c’est une douce manie qui m’a toujours réussi.
Il appert de l’exclamation du zigoto : « Tout est au point ici », que nous sommes pas loin de la côte italienne. Sans doute ces crapules avaient piqué sur le large uniquement pour me travailler et se débarrasser de ma petite personne tout à leur aise.
Secundo, ça ne carbure pas bien relativement à l’invention, car Else a parlé de sa contrariété au sujet d’un code qui leur fait défaut.
Peut-être que si je parviens à m’évader de ce rafiot, ma position ne sera pas mauvaise.
Qu’en dites-vous ?
Pendant que je me livrais à ces réflexions encourageantes, Else s’est pagnotée. J’attends encore un peu ; sa respiration est devenue très régulière. Tant pis, je risque le paquet. En douce, je pousse la porte du placard, le plus périlleux, c’est le bruit de déclic qu’elle produit en s’ouvrant. Heureusement, il y a le floc incessant des vagues qui forme une toile de fond sonore. Rien ne bouge sur la couchette.
Je pense que les émotions de la journée ont fatigué la poulette et qu’elle en écrase comme une reine. Je lui prépare un petit réveil dont elle se souviendra un moment. Sans faire davantage de bruit qu’un lézard sur une descente de lit, je m’extrais de ma boîte. La cabine est obscure, mais comparativement au placard d’où je sors, j’y vois assez clair pour lire la date gravée à l’intérieur d’une alliance. Il faut dire que des petits morceaux de clair de lune filtrent par le hublot.
Else est étendue sur son dodo dans un pyjama de soie blanche, ses longs cheveux blonds dénoués auréolent sa tête d’or. Sa poitrine tend la veste du pyjama. Croyez qu’il est navrant de voir une beauté de ce format à la tête d’un gang international alors qu’elle pourrait se faire un blé terrible en tournant des films.
Je m’approche de la couchette et j’allume la lampe de chevet. La lumière, malgré qu’elle soit tamisée et douce, trouble le sommeil de la souris. Cette dernière bat des paupières, puis ouvre les yeux ; elle semble ne pas me voir, mais brusquement, elle sursaute et s’accoude sur son oreiller.
— Hello, Else, dis-je gaiement. Ça t’en bouche une surface, hein, ma colombe ?
Mais elle ne peut proférer le moindre son car elle est littéralement sidérée.
Je souris et m’approche tout près d’elle. Je prends sa tête à deux mains, sans qu’elle songe à se libérer et je l’embrasse à ma façon. Ce baiser-là a l’air de lui faire de l’effet car j’aperçois ses yeux qui chavirent. Je sens que si je voulais, je pourrais profiter de la situation ; du reste, Else n’attend que ça, mais je la repousse et lui flanque une paire de gifles maison.
— Tu apprendras, lui expliqué-je tranquillement, que je fais toujours ce qui me plaît. J’avais envie de goûter à quoi était ton rouge à lèvres et de te coller une paire de tartes et me voilà assouvi ; maintenant, nous allons causer.
Elle a l’air complètement sinoquée.
— San Antonio, balbutie-t-elle, vous êtes le type le plus extraordinaire que j’aie jamais rencontré.
— Ne te fatigue pas, ma chérie, tu n’es pas la première qui me dit cela, et si je te racontais par où je suis passé dans ma chienne de vie, tu écrirais un bouquin gros comme ça et ce serait le best-seller de l’année.
« Mais passons. Puisque tu as l’air sage comme l’agneau qui vient de naître, je vais, en deux temps trois mouvements, t’exposer la situation telle qu’elle se présente. Voilà : tu es une bath gamine doublée d’une fichue garce, seulement comme je ne suis pas ici pour faire des études de mœurs, je m’en balance un tantinet.
« Tu diriges une bande de repris de justice et d’assassins et tu en as assez sur la patate pour que n’importe quel jury t’expédie à l’abbaye de Monte-à-Regret sans que le président de la République lève le petit doigt pour empêcher ça, mais nous ne sommes pas en France et ça ne me regarde pas.
« Tu as essayé de me dessouder et tu es prête à recommencer à la première occasion, mais je m’en tamponne parce que je me sens assez pubère pour t’envoyer aux prunes en cas de besoin.
« Enfin, tu as fauché les fameux plans et tu t’apprêtes à les laver au premier tordu qui s’amènera avec une lessiveuse de dollars ou de roubles, alors là je me manifeste. Pour ne rien te cacher de mes convictions intimes, l’énergie atomique, je m’en tape le derrière par terre parce que je suis un sage et que je trouve qu’on a suffisamment d’enchosements comme ça sur la Terre. Seulement, il y a le boulot, le devoir et un tas de machins de ce genre qui ne doivent rien signifier pour toi mais pour lesquels je risque cent fois par jour de me faire mettre l’intestin au grand air. C’est un mec français qui a mis l’appareil au point et il ne se sera pas cassé la nénette pour enrichir une bande de lopettes, tu saisis, mignonne ? Alors, tu vas me rendre les plans dans les deux minutes qui suivent, faute de quoi, lorsque ton Jules, le gominé et dénommé Bruno, viendra pour te bécoter au matin, ce qu’il trouvera sur cette couchette le dégoûtera tellement des gnères qu’il entrera dans un cloître, tu saisis toujours ? Autre chose, ne crois pas que je reculerai devant l’extrême, ce ne sont ni tes yeux de lavande ni ta bouche à la fraise, ni les deux trucs que tu portes sur le devant qui peuvent m’amadouer. Je suis comme ça et si tu ne me crois pas, tu n’as qu’à regarder mes châsses pour te rendre compte que je ne bluffe pas.
Je reprends ma respiration ; après une tirade pareille, je n’ai rien d’autre à faire.
Elle me regarde droit dans les yeux.
— Je te crois, dit-elle, toi au moins, tu es un mâle, les plans, les voilà.
Elle saute de son pageot et se précipite à la coiffeuse dont elle ouvre le tiroir. Une exclamation fuse de ses lèvres. Elle se retourne et me regarde. Moi je suis assis sur son dodo et je me cintre comme le nègre de la réclame pour le Banania. Je joue avec son pétard à crosse de nacre.
— Ma pauvre Else, lui dis-je, tu as tout de la nave.
Cette fois, elle en a un coup dans la pipe. Elle sent que vraiment le garçon qui est en face d’elle n’a pas un pois cassé en guise de cervelle.
— En somme, poursuis-je, la seule ressource que tu as, hormis celle que je te propose, c’est d’ameuter les gens du bord. Je tiens à insister sur le fait que ce serait signer ton arrêt de mort. Au point où j’en suis…
J’allonge le bras et l’empoigne. Elle se laisse remorquer. Quand elle est tout près de moi, j’y vais d’une nouvelle tournée de gifles. Et ça n’a pas l’air de lui plaire.
— Poulet du diable ! rugit-elle, j’aurai ta carcasse.
— Tu l’auras peut-être, oui, ma biche, mais à côté de la tienne dans un tiroir de la morgue.
Brusquement, elle se calme.
— Tout ça n’est pas raisonnable, fait-elle d’un air abattu.
— Tiens, tu débarques !
— Soyons sérieux, objecte-t-elle, je sens bien que pour moi la partie est perdue, je suis à votre merci.
Ce calme soudain sent l’orage, comme lorsque le vent s’arrête brusquement de souffler. Je fais semblant de tomber dans le panneau.
— Tu as l’air de te calmer, Else, et ça ne me débecte pas, attendu que je préfère discuter gentiment. Dis-moi où sont les plans et tu n’entends plus parler d’un ouistiti qui se tient devant toi avec ses poches bourrées d’arguments de valeur.
— Mince alors, dit-elle. J’aimerais tout de même récupérer un peu sur cette affaire. N’y a-t-il pas moyen de transiger ?
Je hausse les épaules.
— Allons, ne mégote pas. Je t’offre ta peau et ta liberté en échange des plans, il me semble que je suis réglo.
Else fait les cent pas dans la cabine, les sourcils froncés. Je ne m’aperçois de rien, bien que je ne la perde pas de vue et je suis drôlement marron quand j’entends frapper à la porte, en même temps qu’une voix questionne :
— La signorita a sonnate ?
Je regarde Else, une lueur mauvaise et narquoise brille dans ses yeux de biche. Je lui ajuste un crochet du gauche à la mâchoire et elle s’écroule ; me voici tranquille avec elle. Je vais à la porte et tire la targette puis j’ouvre en me tenant de côté. Le gorille appelé Pietro fait un pas dans la pièce. On dirait un sanglier. Je bondis sur lui et lui flanque un coup de crosse sur la tête, mais il esquisse un pas à gauche et je lui arrache seulement l’oreille.
Aïe ! ça va barder. Si je m’en tire, c’est que mon ange gardien fait des heures supplémentaires.
En vitesse, je ferme la lourde pour limiter le chahut. S’il y a du raffut, je suis cuit.
Pietro est légèrement estomaqué ; pas trop cependant car il sort son feu de sa ceinture. Avant qu’il ait achevé son geste, je tire et il prend une petite 6,35 dans le cœur. Le voilà par terre. La cabine est pleine de son cadavre, c’est comme s’il y avait un bœuf sur le parquet ciré.
Mais la détonation, pourtant faible, a intrigué son copain, le mammouth, qui radine à la rescousse. Je suis gonflé.
— T’en veux aussi ? dis-je. En voilà.
Et je presse encore sur la détente.
Croyez-moi ou ne me croyez pas, mais deux macchabs de ce format dans une petite pièce de deux mètres cinquante sur deux, ça produit le même effet que des quintuplés dans un seul berceau. Je les enjambe et passe ma physionomie dans le couloir ; personne. Le bruit des balles s’est perdu dans la rumeur des flots. Il y a tellement de heurts, de grincements, de chocs sur un bateau qu’un de plus ou de moins passe inaperçu.
Je mets mes deux compères en tas et je referme la lourde. Après quoi, je remplis un verre de flotte au robinet et le verse sur le portrait d’Else. Tandis qu’elle reprend ses esprits, je repère la sonnette qu’elle a actionnée : celle-ci est située contre un des montants de la couchette, c’est ce qui fait que je n’ai pas vu le geste de la môme blonde lorsqu’elle a appuyé dessus. Par mesure de sécurité, je coupe le fil.
*
— Excuse-moi, dis-je à Else. Je n’ai pas pour habitude de bousculer les dames, mais tu as, comme on dit dans la littérature d’aujourd’hui, créé une situation d’où il fallait que je sorte. Maintenant, pour te prouver que je ne suis pas ici pour jouer à la main chaude, tu vas jeter un coup d’œil par terre.
Elle obéit, son visage devient vert.
— Ils… ils sont… morts ? questionne-t-elle.
— La momie de Ramsès II ne l’est pas davantage, assuré-je. Ceci pour que tu te mettes bien dans l’entendement que j’en ai marre de tes gamineries. Je n’aime pas la bagarre, mais lorsque je m’y mets, on ne peut plus m’arrêter. Et je peux t’assurer que si je n’ai pas les plans dans cinq minutes, ton bateau du diable ressemblera plus au Père-Lachaise qu’à un yacht de plaisance.
Tout en parlant, je me suis emparé de ses bas qui traînaient sur un siège et je lui attache les bras et les jambes avec.
— Que vas-tu me faire ? balbutie-t-elle.
— C’est selon. Si tu ne me donnes pas les plans, je te liquide. Et tu ne t’en tireras pas avec du plomb dans la viande, c’est bien trop expéditif pour une roulure comme toi : tu sais, ma mignonne, j’ai de l’imagination, je peux mette le feu à tes fringues, t’arracher les tifs ou t’enfoncer des aiguilles sous les ongles…
Je lui débite mon petit boniment sur le ton glacé. Intérieurement, je jubile parce que ça prend. Cette cocotte me croit vraiment capable de mettre ces promesses à exécution.
Elle me désigne du menton une gravure fixée à la cloison qui représente un paysage hollandais.
— Touche la gravure à l’endroit du pont, dit-elle.
J’obéis, je sens sous mon doigt une rainure. L’image glisse, découvrant un petit coffre. J’ouvre celui-ci, et je soupire d’aise ; les plans sont là, je les reconnais car, avant de partir pour l’Italie, mes chefs m’en ont fait une description très poussée.
Je les prends et je les plie en quatre, après quoi je tâte les poches de mon pantalon — puisque je n’ai plus ma veste. J’en extrais une blague à tabac en caoutchouc qui me sert à tout sauf à conserver du tabac puisque je ne fume que la cigarette. J’y serre les papelards. Après quoi, je me tourne vers Else.
— O.K., poulette. Ça biche. Tu vois qu’on finit toujours par s’entendre. Je sens que si nous poursuivions les mêmes fréquentations, nous finirions par cavaler jusqu’à la plus proche mairie pour nous épouser tout vifs. Alors, il vaut mieux que nous nous disions adieu.
Je dénoue ma cravate et lui la fourre dans la bouche. Après quoi, je noue une serviette-éponge par-dessus. De cette façon, la donzelle ne pourra plus crier.
Je lui donne une claque sur la partie pile de son académie.
— Bye, bye, chérie.
Je sors en prenant soin de bien refermer la lourde. La coursive est déserte, le pont aussi. À quelques encablures, j’aperçois la terre ; décidément, tout est parfaitement orchestré.
Je file sur l’arrière et saisis un filin qui pend ; grâce à lui, je peux descendre dans l’eau sans bruit.
Je nage en direction du rivage proche. Je ne sais pas si ma brasse est académique, mais je vous assure que le champion du monde n’existe pas à côté de moi. J’en mets un fameux coup. Et je jubile vachement. Pour un zig verni, je suis un zig verni. Quelques bosses, une baignade nocturne et les plans sont à moi. Rarement, je n’ai conclu une sale histoire de ce genre aussi rapidement. Évidemment, il y a eu de la casse en quarante-huit heures. Si mes souvenirs sont précis, je compte cinq allongés : le resquilleur de Turin, Tacaba, le bistroquet de Rome et les deux chourineurs de la môme Else, comme c’était tous des balèzes, on peut assurer qu’il y a eu au moins cinq cents kilos de bonhommes mis en l’air.
Faites le compte vous-même.
Et si vous ne trouvez pas votre taf, écrivez à mon éditeur, mais n’allez pas rouscailler auprès de lui parce qu’il pèse lui aussi dans les cent vingt kilos. Et comme c’est un gentleman pas commode, si votre bouille ne lui revient pas, il peut très bien vous faire avaler votre râtelier d’un coup de paluche.