Ne perdez jamais une occasion de descendre à la cave
Il est un peu plus de quatre heures (seize heures pour mes lecteurs chefs de gare) lorsque je quitte la strass du patron. J’avoue que je suis un peu sonné par la mission qu’il vient de me confier… J’ai déjà exécuté bien des boulots, mais des comme ça jamais. Enfin, il faut un début à tout… Je vous parlerai de ça plus tard !
Enfin, ma devise est « Vivons l’instant »… Lorsque je serai dans l’avion, cette nuit, je commencerai à penser à ça…
Je remise mon passeport, mes dollars et mon mot de recommandation dans une fouille, puis je redémarre sur le sentier de la guerre…
Il me reste quelques heures devant moi avant le décollage et l’expérience me prouve que quelques heures bien employées valent largement une existence inutile.
Je prends le vent, incertain, puis j’opte pour la rue Chaptal… C’est décidément la rue des Macchabées, avec ce voisinage du Grand Guignol où, chaque soir, le sang coule à flot !
Je commence par rendre une petite visite à la voisine de feu Parieux, la vieille fille.
Elle mijote dans une odeur de cacao et de vieux calendrier.
Elle pousse un petit cri de souris épouvantée en me voyant.
— Ouuuu, glapit-elle, le policier…
— Eh bien ! Eh bien ! dis-je en entrant, ne croirait-on pas que vous avez peur de la police, chère mademoiselle…
— Je n’ai pas peur de la police, mais des hommes, minaude cette vieille tordue desséchée…
Je la regarde éloquemment…
Pour s’en prendre à sa vertu, faudrait se munir d’un pic pneumatique, moi je vous le dis !
— Allons, allons, chère demoiselle, les hommes ne sont pas tous des butors. Il existe aussi des gentlemen…
Et je complète :
— Rarement dans la police, nous sommes d’accord, on peut même dire que je suis l’oiseau rare de la maison poulaga.
Aussitôt je reviens à… mon mouton !
— Dites voir, le soir où ce pauvre M. Parieux a cassé sa pipe…
— Un peu de décence, coupe-t-elle.
— Pardon, le soir où il a clamsé, la radio marchait-elle, chez lui ?
— Oui… Il écoutait l’émission des avant-premières… C’était le dimanche soir, hein ?
— En effet… Et, lorsque la… compagne de Parieux est partie, la radio s’est-elle tue ?
— Oui… Un peu avant…
Tiens, tiens, le docteur André aurait-il mis dans la cible ? Isabelle a éteint la radio avant de sortir… Parieux dormait… pour toujours !
Je regarde la vieille fille. Ses yeux en fente de tirelire ne me quittent pas.
— Quel dommage que vous ne vous soyez pas mariée, fais-je…
— Pourquoi ? se rebiffe-t-elle.
— Parce que je suis certain que vous auriez fait le bonheur d’un homme.
Elle a une nuance de regret dans la voix…
— C’est la destinée, dit-elle.
— Eh oui… Mais vous devez vous trouver bien seule ?
— J’ai mes habitudes…
— Sûrement… Enfin… Vous regardez le mouvement de la rue, je parie que vous restez longtemps à la fenêtre…
— Il n’y a pas beaucoup de mouvement dans cette rue…
— C’est vrai…
— Dites, le soir, lorsque la jeune fille est partie, vous vous êtes mise à la fenêtre, non ?
— Je ne me souviens pas…
Elle me bourre le crâne, cette savate éculée !
— Mais si, assuré-je, le cafetier d’en face m’a dit que vous étiez à votre croisée et que vous avez sorti la petite de l’immeuble…
Là j’y vais dans les contrecarres, mais elle mord à plein dentier dans la pâte.
— De quoi se mêle-t-il, ce gros plein de soupe ! s’indigne-t-elle. On n’a plus le droit de se mettre à sa fenêtre, maintenant ?
— Là n’est pas la question, mademoiselle… heu… Chose… Vous avez parfaitement le droit de vivre à votre fenêtre à la condition que ça ne soit pas à poil…
— Quelle horreur ! bave-t-elle.
Son râtelier lui sort du tiroir… Elle l’aspire avec un gros bruit de succion.
— La fille est-elle montée dans l’automobile de Parieux ?
— Oui, dit-elle.
— Elle était seule ?
— Oui… Mais elle n’est pas sortie tout de suite de l’immeuble.
— Comment cela ?
— Je l’ai entendue fermer la porte et descendre l’escalier, mais elle a mis longtemps avant de déboucher dans la rue… Au moins cinq minutes de plus qu’il n’en faut pour descendre les étages… C’est vrai qu’elle était chargée, mais tout de même…
— Elle était chargée ?
— Oui, elle portait un sac sur son épaule…
— Un sac ? Quel genre de sac ?
— Un sac de chanvre, comme un sac à pommes de terre…
— Il était plein ?
— Oui, mais il avait une forme bizarre… J’ai pensé qu’elle emmenait un vieil objet, peut-être des chandeliers…
— Pourquoi des chandeliers ?
— Comme ça…
— Les idées ne vous viennent jamais « comme ça », mademoiselle… heu… Machin… Si vous avez pensé à des chandeliers, c’est que quelques chose dans la forme du sac vous y a fait songer…
— C’est vrai, reconnaît-elle… Le sac faisait des pointes…
— Bon, des pointes… comme une danseuse…
— Comment pouvez-vous trouver le temps de faire de l’esprit ? interroge cette pisse-vinaigre…
— Un homme d’esprit a toujours le temps d’en faire, dis-je doctement.
Elle hausse imperceptiblement les épaules.
Je me palpe le cervelet, puis je décide qu’il n’y a rien de plus à lui arracher.
— Au plaisir, mademoiselle… heu… Truc…
Elle me fait un signe de tête et me raccompagne à la porte.
Je ne vais pas dans l’appartement du défunt. Rapidos, je dévale les escadrins…
Le pipelet est icigo. Il passe de l’encaustique sur la boule de cuivre terminant l’escalier.
— C’est re-moi, fais-je en guise d’entrée en matière.
— Oh ! bonjour, m’sieur l’inspecteur…
— Mettons commissaire et que tout soit dit !
Il me décoche une courbette lourde de considération voilée.
— Dites voir, tous les locataires de cet immeuble ont bien la jouissance d’une cave ?
— Bien sûr…
— Quel est le numéro de celle de Parieux ?
— Le 8.
— Ça va, merci… C’est par là, n’est-ce pas ? ajouté-je en désignant une porte basse au fond de l’escalier.
— Oui… Vous voulez la clé ?
— Non, j’ai tout ce qu’il me faut…
— Je vais au moins vous donner la lumière du sous-sol…
— Excellente idée !
En dix enjambées je me trouve devant la porte de cave numéro 8. L’ouvrir est pour sésame un jeu d’enfant… Il me suffit presque de le montrer à la serrure pour que celle-ci s’actionne illico…
— C’est beau, la nature… me mets-je à chantonner…
Car une bouffée âcre me fouette le tarin lorsque j’ouvre la lourde… Cela pue affreusement…
Je donne la lumière et j’examine l’étroit local. Il y a un vache bric-à-brac dans le coin… Des pare-feux en fer forgé ; un cheval de bois ; des costumes d’époque moisis… Des trucs en cuivre, des horloges cassées… Bref, je pige immédiatement que Parieux utilisait sa cavouze comme superentrepôt…
Je bigle bien partout et je découvre par terre ce que je cherche : des touffes de laine brute, puant le suint.
Pas d’erreur, on a entreposé un mouton dans le secteur… Il y a même des crottes séchées… De ces dernières crottes que les animaux expulsent après leur mort…
Les machins pointus qui gonflaient le sac de chanvre d’Isabelle, c’étaient les pattes raides du mouton…
Par conséquent, c’est Isabelle qui a coltiné le mouton… Donc elle était affranchie sur l’utilisation de l’animal…
Et pourtant c’est elle qu’on a brûlée…
Ah ! je vous jure qu’il faut avoir le cœur solide dans ce putain de boulot.
— Vous avez trouvé ce que vous cherchiez ? demande le pipelet aux aguets…
— Oui…
Je fais trois pas, sa curiosité explose…
— Et c’était quoi ? demande-t-il.
— Des crottes ! fais-je en sortant.